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Page:Hoffmann - Contes nocturnes, trad de La Bédollière, 1855.djvu/152

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celui que rendent les instruments quand un vent violent a frôle leurs cordes.

Alors Julia devint inquète, et il lui arrivait malgré elle de mêler quelques mots mauresques à l’hymne latine. Emanuela exhorta la nouvelle convertie à résister à l’ennemi ; mais Julia n’y fit pas attention, et, au grand scandale des sœurs, elle chantait souvent des chants d’amour mauresques pendant que des chœurs religieux et sévères du vieux Ferreras retentissaient dans l’enceinte sacrée. Elle s’accompagnait de sa mandoline qu’elle avait accordée de nouveau et montée de plusieurs tons, et les accents de son instrument, qui troublaient souvent le chœur, étaient bruyants et désagréables, et presque semblables au sifflement aigu des petites flûtes mauresques.

LE MAÎTRE DE CHAPELLE. — Flauti piccoli ! Mais, mon cher, il n’y a jusqu’à présent rien, rien du tout pour faire un opéra. Point d’exposition, et c’est la chose principale ; mais l’idée d’accorder en sourdine et de monter de plusieurs tons une mandoline m’a passablement charmé. Ne croyez-vous pas que le diable a une voix de ténor ? il est faux comme… le diable ; par conséquent il chante en fausset.

L’ENTHOUSIASTE. — Dieu du ciel ! vous devenez tous les jours plus spirituel, maître de chapelle ! Mais vous avez raison ; abandonnons au principe diabolique tous les sfflements et glapissements peu naturels du fausset, et continuons notre histoire, dont le récit me fait suer sang et eau, parce que je risque à chaque instant de sauter quelque passage digne de toute votre attention.

Or, il arriva que la reine, accompagnée des nobles généraux de son royaume, s’acheminait à l’église des Bénédictines pour y entendre la messe, selon sa coutume. Devant la porte gisait un misérable mendiant couvert de haillons ; les satellites de la reine voulaient lui faire quitter sa place ; mais, se relevant à moitié, il s’arracha de leurs bras et retomba en hurlant. Dans sa chute, il toucha les vêtements de la reine. Aguillar en colère s’élança vers ce misérable, prêt à le renvoyer d’un coup de pied ; mais celui-ci se redressa encore et cria :

— Foule aux pieds le serpent, foule aux pieds le serpent, il te piquera à mort !

Et en même temps il fit vibrer les cordes d’une mandoline cachée sous ses baillons d’une manière aiguë et si désagréablement sifflante, que tous, frappés d’un frisson mystérieux, reculèrent en tremblant.

Les gardes écartèrent ce spectre. On disait que c’était un Maure