Page:Hoffmann - Contes nocturnes, trad de La Bédollière, 1855.djvu/157

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les Maures se virent enfin forcés de traiter avec leurs enemmis, et Ferdinand et Isabelle entrèrent avec pompe et au bruit de l’artillerie dans la ville de Grenade. Les prêtres avaient consacré la grande mosquée pour en faire la cathédrale, et ce fut vers elle que se dirigea la procession, pour remercier le Dieu des armées par une messe et un solennel Te Deum laudamus, de la glorieuse victoire qu’il avait fait remporter aux Espagnols sur les serviteurs de Mahomet, le faux prophète. On connaissait la fureur des Maures, qui, contenue avec peine, se réveillait sans cesse ; on avait donc posté des troupes armées de toutes pièces dans les rues adjacentes pour couvrir la marche de la procession dans la rue principale. De cette manière, Aguillar, à la tête d’une division d’infanterie, se rendant par un chemin détourné à la cathédrale, où l’office était déjà commencé, se sentit tout à coup blessé d’une flèche à l’épaule gauche. Dans le moment même, une troupe de Maures sort de dessous une voûte sombre, et attaque les chrétiens avec la rage du désespoir. Hichem, à leur tête, s’élance sur Aguillar, qui, légèrement blessé et s’en ressentant à peine, esquive adroitement l’atteinte du fer ennemi, et étend Hichem à ses pieds d’un coup qui lui fend la tête.

Les Espagnols furieux se jetèrent sur les perfides agresseurs, qui bientôt s’enfuirent en hurlant, et se retranchèrent dans une maison de pierre, dont ils fermèrent aussitôt la porte. Les Espagnols l’attaquèrent ; mais une pluie de flèches lancées des fenêtres les assaillit et les fit reculer.

Aguillar ordonna de jeter dans la maison des torches enflammées. Déjà les flammes se montraient au-dessus du toit, quand, à travers le fracas des armes, on entendit une voix merveilleuse partir de l’édifice incendié :

Sanctus, sanctus, sanctus, Dominus Deus Sabaoth ! disait la voix.

— Julia ! Julia ! s’écria Aguillar désespéré.

Les portes s’ouvrirent, et Julia, couverte de l’habit des bénédictines, en sortit en chantant d’une voix forte : Sanctus, sanctus, sanctus, Dominus Deus Sabaoth ! Derrière elle venaient des Maures courbés les mains jointes en croix sur leur poitrine. Étonnés, les Espagnols se retirèrent ; et à travers leurs rangs Julia se rendit avec les Maures à la cathédrale. En y entrant elle entonna spontanément le Benedictus qui venit in nomine Domini. On eût dit une sainte descendue du ciel pour annoncer aux élus du Seigneur les merveilles de sa puissance.