Page:Hoffmann - Contes nocturnes, trad de La Bédollière, 1855.djvu/156

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Auillar lâcha Hichem et se releva en ramassant lentement son épée.

— Hichem, dit-il, Zuléma, qui par le saint baptême a reçu le nom de Julia, devint ma captive loyalement et par le droit de la guerre. Éclairée par la grâce du Seigneur, elle a quitté le culte fatal de Mahomct, et ce que toi, Maure aveuglé, tu prends pour le charme malin d’une idole, n’est que la tentation de l’esprit infernal à laquelle elle n’a pas su résister. Si tu nommes Zuléma ton amante, que Julia, la convertie, soit la dame de mes pensées, et à son honneur, son image dans le cœur, je soutiendrai contre toi le combat pour la gloire de la véritable foi. Reprends tes armes et attaque-moi comme tu voudras, à la manière des gens de ta nation.

Hichem saisit promptement son épée et son bouclier ; mais au moment où il courait sur Aguillar, il poussa un cri terrible, se jeta sur son cheval, et s’éloigna ventre à terre.

Aguillar ne savait trop comment s’expliquer cotte scène, quand il vit derrière lui le vénérable vieillard Agostino Sanches, qui lui dit avec un doux sourire :

— Est-ce que lhcbem me craint, ou redoute-t-il le Seigneur, qui est en moi et dont il dédaigne l’amour ?

Aguillar lui raconta tout ce qu’il avait appris de Julia, et tous deux se souvinrent des paroles qu’Emanuela avait prononcées, quand Julia, séduite par les accents de Hichem, étouffant en elle toute piété, avait quitté le chœur pendant le Sanctus.

LE MAÎTRE DE CHAPELLE. — Je ne pense plus à un opéra mais le combat entre le Maure Hichem en cuirasse et le général Aguillar s’est présenté à mon esprit comme accompagné de musique. Le diable m’emporte ! comment peut-on mieux peindre l’attaque et la défense que Mozart ne l’a fait dans son Don Giovanni ? Vous savez… dans la première…

L’ENTHOUSIASTE VOYAGEUR. — Taisez-vous, maître de chapelle ! je vais mettre la dernière main à mon histoire. J’ai encore beaucoup à dire, j’ai besoin de recueillir mes pensées, d’autant plus que je pense toujours à Bettina, ce qui me dérange déjà par trop. Surtout je ne voudrais pas qu’elle sût jamais un mot de mon histoire espagnole, et pourtant quelque chose me dit qu’elle écoute à cette porte-là ; mais je me trompe, ce n’est qu’une erreur de mon imagination. Ainsi donc je poursuis :

Toujours battus, décimés par la famine continuellement croissante,