Page:Hoffmann - Contes nocturnes, trad de La Bédollière, 1855.djvu/277

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— Enfant, enfant ! me dit-il, tu t’adresses donc à moi comme à l’unique violon qui soit encore au monde ; eh bien ! cela prouve que tu as pour l’art une vocation réelle, et que tu as conçu en ton âme l’idéal de la perfection instrumentale. Quel plaisir n’aurais-je pas à t’aider ! mais où prendre le temps, où prendre le temps ? Haak me donne beaucoup de peine, et puis il y a le jeune Durand qui veut se faire entendre en public, et qui a bien vu que ce serait impossible s’il ne faisait chez moi un cours d’étude bien suivi ; mais attends, attends ! entre le déjeuner et midi, ou avant le déjeuner ! oui, j’ai encore une heure à moi ! enfant, viens tous les jours à midi précis. Je jouerai du violon avec toi durant une heure ; puis ce sera le tour de Durand.

On se figure aisément que dès le lendemain, le cœur palpitant, je me rendis chez le baron.

Il ne souffrit pas que je me servisse du violon que j’avais apporté ; il me mit entre les mains un gothique instrument d’Antonio Amati. Jamais je n’avais joué d’un semblable violon. Les sons célestes que rendirent les cordes m’animèrent. Je m’égarai dans de brillants passages ; je fis couler à flots retentissants des torrents d’harmonies, dont le bruit diminuant par degrés finit par se perdre dans un doux murmure. Je crois qu’il m’est rarement arrivé par la suite de jouer aussi bien.

Le baron hochait la tête d’un air d’impatience. — Enfant, enfant ! me dit-il lorsque je cessai, il te faut oublier tout cela ; d’abord ta manière dont tu tiens ton archet est tout à fait misérable.

Il m’enseigna ensuite comment on devait tenir l’archet d’après la méthode de Tartini ; je crus qu’en la suivant il me serait impossible de tirer aucun son de mon instrument. Mais je fus bîen étonné lorsque, répétant mes passages sur l’invitation du baron, je vis en quelques minutes les immenses avantages de la manière qu’il m’avait indiquée.

— À présent, dit le baron, nous allons commencer la leçon. Joue-moi un ut mineur, et soutiens la note aussi longtemps que tu pourras ; épargne ton archet, épargne ton archet ! car ce que l’haleine est au chanteur, l’archet l’est à l’instrumentiste.

Je fis ce qu’il m’ordonnait, et, à ma vive satisfaction, je parvins à faire entendre un ut plein, en montant du pianissimo au fortissimo pour redescendre ensuite.