Page:Hoffmann - Contes nocturnes, trad de La Bédollière, 1855.djvu/276

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ce qu’il sait, car ce fut mon écolier le plus zélé ; mais il n’a point de patience, point de persévérance ; il a quitté mon école !

J’espère faire quelque chose de Kreutzer. Il a suivi mes leçons avec assiduité, et elles lui seront encore utiles quand je retournerai à Paris, où il est en ce moment. Vous savez, Haak, mon concerto que nous avons essayé ensemble ; eh bien ! il ne l’a pas trop mal joué. Mais il manque de poignet pour tenir mon grand archet.

Quant à Giarnovichi, qu’il ne repasse plus le seuil de ma maison ! c’est un lâche, un scélérat qui se moque du grand Tartini et refuse mes leçons.

Je voudrais bien savoir ce que deviendra le jeune Rhode s’il prend des leçons de moi. Il promet beaucoup, et il est possible qu’il parvienne à se servir de mon grand archet.

Rhode est de ton âge, mon enfant, continua le baron en se tournant vers moi, mais il est plus grave, plus posé. Ne le prends pas de mauvaise part, mais tu me parais un petit étourneau. Mais cela viendra. J’espère beaucoup de vous, mon cher Haak ; depuis que je vous donne des leçons, vous êtes déjà un tout autre homme. Persévérez avec courage, et ne manquez pas de leçons, vous savez que cela me contrarie.

Tout ce que j’entendais me pétrifiait d’étonnement. Je ne pus attendre la fin de la séance pour demander au chef d’orchestre s’il était vrai que le baron eût formé les premiers violons du temps, et si lui-même, Haak, prenait réellement des leçons chez lui.

— Sans doute, répondit Haak, le baron daigne me donner des leçons, que je me garde bien de refuser. Tu feras bien d’aller toi-même un matin chez lui, et de le prier de se charger de ton instruction.

Je fis à Haak plusieurs autres questions relatives au baron et à son talent, mais il ne me répondit pas un mot. Il se borna à me répéter que je pouvais faire ce qu’il me conseillait, et que j’apprendrais le reste.

Le sourire étrange qui effleura les lèvres de Haak excita au plus haut degré ma curiosité, bien que je ne devinasse pas le motif de cette gaieté concentrée.

Je présentai humblement ma requête au baron, en lui assurant que j’éprouvais pour mon art l’enthousiasme le plus ardent et le plus prononcé. Il me regarda fièrement, mais bientôt son regard sévère prit l’expression de la plus bienveillante bonhomie.