Page:Hoffmann - Contes nocturnes, trad de La Bédollière, 1855.djvu/281

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— La pauvre enfant ! dit la dame âgée au bourgmestre d’une voix basse et mélancolique ; il faut que je reste quelques instants auprès d’elle.

Aussitôt, aidée de la fille aînée du bourgmestre, elle ôta son manteau de voyage ; et sa robe de nonne, ainsi qu’une croix étincelante qu’elle portait sur la poitrine, la firent reconnaître pour l’abbesse d’un couvent de l’ordre de Citeaux.

Cependant la dame voilée n’avait donné d’autres signes de vie qu’un gémissement faible et à peine sensible ; enfin elle demanda un verre d’eau à la maîtresse de la maison. Celle-ci apporta toute espèce de gouttes fortiffantes et d’élixirs, dont elle loua les propriétés merveilleuses, et conjura la dame de souffrir qu’on lui enlevât ce voile incommode et épais, qui devait lui gêner la respiration. Mais, toutes les fois qu’elle s’approcha, la dame la repoussa de la main, en détournant la tête avec les signes de l’effroi ; toutes les instances de la femme du bourgmestre furent inutiles. La malade but deux ou trois gorgées de l’eau qu’elle avait demandée, et dans laquelle l’hôtesse attentive avait jeté quelques gouttes d’un puissant cordial ; elle consentit également à respirer l’odeur d’un flacon de sels ; mais ce fut toujours sous son voile, et sans le lever aucunement.

— Vous avez eu soin de tout préparer comme on la désirait ? demanda l’abbesse au bourgmestre.

— Oui, madame, répondit le vieillard, j’espère que notre sérénissime prince sera content de moi, ainsi que cette dame, pour laquelle j’ai tout disposé de mon mieux.

— Laissez-moi donc encore quelques moments seule avec ma pauvre enfant, reprit l’abbesse.

La famille quitta la chambre. On entendit l’abbesse parler à la dame avec ferveur et onction, et la dame prononça aussi quelques mots d’un ton qui remuait profondément le cœur. Sans précisément écouter, la maîtresse de la maison était restée à la porte de la chambre. Les dames parlaient italien ; ce qui contribuait à rendre toute l’aventure plus mystérieuse, et augmentait le serrement de cœur de la femme du bourgmestre.

Celui-ci appela sa fille et sa femme, leur dit de préparer du vin et des rafraîchissements, et il rentra lui-même dans la chambre.

La dame voilée se tenait devant l’abbesse, la tête inclinée et les mains jointes, et paraissait plus tranquille. L’abbesse ne refusa pas de