Page:Hoffmann - Contes nocturnes, trad de La Bédollière, 1855.djvu/286

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degrés à leur société. La maîtresse du logis, qui soignait la malade et lui préparait elle-même de bouillons nourrissants, oublia en se livrant à ces fonctions domestiques toute la défiance que lui avait inspirée d’abord l’énigmatique étrangère. Le bourgmestre tout ragaillardi jouait et riait avec l’enfant comme s’il eût été son petit-fils, et il s’était accoutumé, ainsi que le reste de sa famille, à voir Célestine voilée.

Elle avait conservé son voile même au milieu des douleurs de son enfantement. La sage-femme avait été obligée de lui jurer qu’en cas méme d’évanouissement on ne lui ôterait pas ce voile, et que la sage-femme seule se chargerait de le lui enlever si l’imminence du danger l’exigeait absolument. Il était certain que la femme du bourgmestre avait vu Célestine sans son voile, mais ses réflexions se bornaient à dire :

— La pauvre jeune dame, il faut bien qu’elle se cache le visage !

Au bout de quelques jours, on vit reparaître le moine du convent des Carmes qui avait baptisé l’enfant. Son entretien avec Célestine, que personne n’osa troubler, dura plus de deux heures. On l’entendit parler avec chaleur et prier. Quand il fuit parti, on trouva Célestine assise dans un fauteuil, et l’enfant sur ses genoux. Il avait un scapulaire suspendu à ses petites épaules, et portait un agnus Deisur la poitrine.

Des semaines et des mois se passèrent sans qu’on vint chercher Célestine et son enfant, comme le bourgmestre s’attendait, et comme le prince Zapolski l’en avait prévenu. Elle eût pu être admise dans l’intimité de la famille, si le voile fatal n’eût été un obstacle insurmontable. Le bourgmestre prit sur lui de s’en expliquer avec l’étrangère, mais elle répondit d’une voix sourde et solennelle :

— Je ne quitterai ce voile que pour un linceul.

Le bourgmestre se tut, et souhaita de nouveau que la voiture et l’abbesse reparussent le plus tôt possible.


III

Le printemps était de retour ; la famille du bourgmestre revenait de la promenade, et rapportait des bouquets de fleurs, dont les plus beaux étaient destinés à la pieuse Célestine.