Page:Hoffmann - Contes nocturnes, trad de La Bédollière, 1855.djvu/287

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Au moment où tous allaient entrer dans la maison, un cavalier parut tout à coup. À son costume, on le reconnaissait pour un officier des chasseurs de la garde impériale française ; il demanda avec empressement le bourgmestre.

C’est moi-même, dit le vieillard, et vous êtes à ma porte.

Le cavalier sauta à bas de son cheval, qu’il attacha à un poteau, et se précipita dans la maison en criant d’une voix perçante :

— Elle est ici ! elle est ici !

Il monta rapidement, on entendit une porte s’ouvrir et Célestine pousser un cri d’angoisse. Le bourgmestre saisi d’effroi accourut.

L’étranger avait arraché l’enfant de son berceau, l’avait envelppé de son manteau, et le tenait de son bras gauche tandis que du droit il repoussait Célestine, qui employait toutes ses forces pour arracher l’enfant au ravisseur. Dans cette lutte, l’officier arracha le voile ! et l’on vit un visage pâle et inanimé, ombragé de boucles de cheveux noirs, et des yeux qui dardaient des éclairs du fond de leurs sombres orbites, pendant que des clameurs perçantes partaient de lèvres immobiles et à demi ouvertes…

Le bourgmestre s’aperçut que Célestine portait un masque blanc étroitement attaché à son visage, dont il dessinait les contours.

— Femme horrible ! s’écria l’officier, veux-tu que je partage ta folie ?

Et il repoussa Célestine avec tant de force qu’elle tomba à terre. Elle embrassa ses genoux, et parut en proie à une invincible douleur.

— Laisse-moi cet enfant, dit-elle d’un ton suppliant qui déchirait le cœur ; sur ton salut éternel il t’est défendu de me le ravir. Au nom du Christ, au nom de la sainte Vierge, laisse-moi cet enfant, laisse-moi cet enfant !

Malgré ces accents lamentables, aucun muscle ne se remuait ; les lèvres de ce visage de mort demeuraient immobiles : de sorte que le vieillard, sa femme et tous ceux qui l’avaient suivi sentirent leur sang se glacer d’horreur dans leurs veines.

— Non, s’écria l’officier comme emporté par son désespoir, non, femme inhumaine et inexorable, tu peux m’arracher le cœur, mais dans ton délire funeste tu ne dois pas perdre cet être que le ciel a destiné à apaiser les douleurs d’une blessure qui saigne encore !

L’officier serra avec plus de force contre son sein l’enfant, qui se mit à pleurer et à pousser des cris.