Page:Hoffmann - Contes nocturnes, trad de La Bédollière, 1855.djvu/289

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

cette sœur était la comtesse Herménégilde de Czernska, que l’on avait crue en Italie avec la sœur de son père, la princesse Zapolska.

À la même époque, le comte Népomucène de Czernski, père d’Herménégilde, vint à Varsovie, et ne se réservant qu’une petite propriété en Ukraine, il fit l’abandon de tout le reste de ses biens aux deux fils du prince Zapolski, ses neveux. On lui demanda de doter sa fille ; mais pour toute réponse il leva vers le ciel des yeux humides de larmes, et dit d’une voix sourde :

— Elle est dotée.

Il ne prit de mesures ni pour confirmer le bruit de la mort d’Herménégilde dans le couvent d’Oppeln, ni pour combattre les suppositions qu’on faisait sur le sort de sa fille, qui était représentée comme une victime conduite prématurément au tombeau par la souffrance.

Plusieurs patriotes polonais, courbés, mais non abattus, par la chute de leur patrie, cherchèrent à faire entrer de nouveau le comte dans une association secrète, qui se proposait la délivrance de la Pologne ; mais ils ne trouvèrent plus en lui cet homme ardent, amant enthousiaste de la liberté et de la patrie, et dont le courage héroïque les avait soutenus jadis dans leurs nobles entreprises. C’était un vieillard sans énergie, déchiré d’une douleur sauvage, étranger à toutes les choses de ce monde, et prêt à s’ensevelir dans une profonde solitude.


IV

Autrefois, à l’époque où le premier partage de la Pologne excita une insurrection sanglante, le château du comte Népomucène de Czernski avait été le théâtre des assemblées secrètes des patriotes.

Là, dans des repas solennels, les conjurés s’enflammaient et s’excitaient à combattre pour leur pays opprimé. Là, Herménégilde paraissait au milieu du cercle de ces héros, semblable à un ange descendu du ciel pour les bénir. Elle avait le caractère des femmes de sa nation ; elle prenait part à tout, même au déliliérations politiques ; examinait avec attention l’état des choses, et, bien qu’elle n’eût pas encore dix-sept ans, elle combattait parfois l’avis général ; et son opinion, dictée par la sagesse et par une pénétration extraordinaire, entraînait la majorité de l’assemblée.