Page:Hoffmann - Contes nocturnes, trad de La Bédollière, 1855.djvu/300

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que je me rappelai la bénédiction donnée à mon époux et à moi dans la chapelle voisine par le père Cyprien, au milieu du fracas de l’artillerie et de l’agitation du combat. Je vis alors le vénérable prêtre sortir de la tente. L’anneau d’or du mariage étincelait à mon doigt ; le bonheur que je ressentais à serrer mon époux dans mes bras était inexprimable ; un ravissement sans nom, que je n’avais jamais éprouvé, remplit toute mon âme ; mes sens s’égarèrent ; un froid glacial s’empara de moi. Je fermai les yeux ; affreux spectacle ! Je me trouve soudain au milieu d’une mêlée furieuse. Devant moi brûle la tente incendiée, d’où l’on m’a probablement arrachée. Stanislas est entouré de cavaliers ennemis ; ses amis volent à son secours, mais il est trop tard ! Un cavalier vient de le renverser de cheval !

À ces mots, Herménégilde, épuisée par la douleur, tomba de nouveau sans connaissance ; Népomucène courut chercher des cordiaux, mais il n’eut pas le temps de les employer, car elle reprit ses sens, par l’effet seul d’une singulière énergie.

— La volonté du ciel soit accomplie ! dit-elle d’une voix sourde et solennelle ; il ne m’est pas convenable de me plaindre ; mais jusqu’à la mort, fidèle à mon fiancé, je ne dois me séparer de lui par aucun engagement terrestre. Le pleurer, prier pour lui, pour notre salut, voilà mon devoir, et rien ne saurait m’en détourner.


VIII

Le comte Ndpomucène crut avec raison que la folie de sa fille lui avait fait voir cette vision imaginaire. Il espéra que le deuil d’Herménégilde ferait succéder une douleur tranquille et concentrée à une agitation désordonnée, et compta sur le retour du comte Stanislas pour mettre un terme à cette nouvelle extravagance.

Parfois le comte Népomucène laissait tomber les mots de rêveries et de visions ; mais Herménégilde souriait amèrement, pressait sur ses lèvres l’anneau d’or qu’elle portait au doigt, et le baignait de larmes brûlantes.

Le comte Népomucène remarqua avec étonnement que cet anneau n’appartenait réellement pas à sa fille ; il ne le lui avait jamais vu, et il se livra à mille conjectures sur la source d’où il pouvait provenir, main sana se donner la peine de faire une enquête sérieuse.