Page:Hoffmann - Contes nocturnes, trad de La Bédollière, 1855.djvu/345

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La jeune fille riait ; mais, en prononçant es mots, elle se mit à sangloter.

— Ah ! reprit-elle ce sera comme à Moscou ! Ô mon Alexis, mon Alexis ! mon beau fiancé ! Nage, nage, sors des flots ! Ta fidèle fiancée ne t’attend-elle pas ?

Elle baissa la tête ; sa voix s’affaiblit par degrés ; sa respiration s’entrecoupa de soupirs ; et elle parut s’endormir. Je regardai le vieillard. Il était toujours là, les bras croisés, et disait d’un ton lugubre :

— L’homme de feu vous fait signe, mes braves frères ! Regardez-le : voyez avec quelle force il secoue les mèches éclatantes de sa barbe de flammes ; avec quelle activité il allonge sur le sol ses colonnes de fumée ! N’entendez-vous pas ses pas retentissants ? Son souffle ne vous anime-t-il pas ? Ne marchez-vous pas vers le point où brillent ses étincelles ? Mes braves frères, courez !

Les accents de Popowicz ressemblaient aux sifflements des vents aux approches d’un ouragan. Pendant qu’il parlait, les signaux allumés sur les montagnes de Misnie continuaient à flamboyer.

— À mon aide, saint André, à mon aide ! balbutia la jeune fille en dormant.

Puis elle se leva comme saisie d’une frayeur soudaine, m’entoura fortement de son bras gauche, et me murmura à l’oreille :

— Anselme, j’aime mieux te tuer.

Je vis briller un couteau dans sa main droite. Je la repoussai épouvanté, et je jetai un grand cri.

— Insensée, que fais-tu ?

— Non, continua-t-elle, cela m’est impossible ; mais à présent tu es perdu.

Aussitôt le vieillard s’écria :

— Agafia ! avec qui parles-tu ? Et sans me donner le temps de la réflexion, il fut près de moi en une seconde, brandit son bâton, et en assena un coup si terrible qu’il m’aurait fracassé la tête si Agafia ne m’avait pris par derrière et entraîné violemment. Le bâton se brisa en mille morceaux sur le pavé ; Popowicz tomba sur les genoux.

Allons ! allons ! cria-t-on de toutes part. Je fus obligé de me lever, et de me ranger promptement, pour ne pas être écrasé par l’artillerie et les wagons qui passaient de nouveau. Le matin suivant, les Russes