Page:Hoffmann - Contes nocturnes, trad de La Bédollière, 1855.djvu/344

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Il avait raison. Car outre qu’elle ne disait presque toujours que des choses confuses, un sourire insignifiant et désagréable altérait ses traits, qui avaient dû être charmants. Tous les matins elle m’apportait le café dans ma chambre, et je remarquai comme un fait positif que sa tournure, sa carnation, son teint, n’avaient aucun rapport avec ceux d’une paysanne.

— Eh ! monsieur Anselme, disait encore mon hôte, c’est la fille d’un fermier, et elle est de Saxe, qui plus est.

En voyant la jeune fille trempée jusqu’aux os, tremblante, respirant à peine, et à demi couchée à mes pieds, j’ôtai promptement mon manteau, et je l’en enveloppai.

— Réchauffe-toi, lui dis-je tout bas ; réchauffe-toi donc, chère Dorothée ! Sans cela tu succomberais. Mais que faisais-tu donc dans ce fleuve glacé ?

— Tais-toi donc, répondit la petite tout en ôtant le collet de manteau qui lui était tombé sur le visage, et en rejetant en atrière ses cheveux d’où l’eau ruisselait, tais-toi donc. Viens là-bas sur ce banc de pierre. Mon père ne nous entend pas : il parle en ce moment avec saint André3.

Nous nous glissâmes doucement jusque-là. J’étais en proie aux émotions les plus bizarres. Transporté d’horreur et de ravissement, je pris la petite dans mes bras. Elle s’assit sans difficulté sur mes genoux ; elle passa son bras autour de mon cou ; je sentis l’eau froide couler de ses cheveux sur mes reins ; mais les gouttes d’eau qui tombent sur un brasier ne font qu’en augmenter la flamme ; à chaque instant les feux de l’amour et du désir prenaient en moi de nouvelles forces.

— Anselme, balbutia la jeune fille, tu es un bien brave jeune homme. Quand tu chantes, le son de ta voix me va au cœur ; et puis tu es bien poli. Tu ne me trahiras point, n’est-ce pas ? Qui donc ferait ton café ? Écoute, quand vous souffrirez tous de la famine, quand personne ne te donnera à manger, je viendrai chez toi la nuit, toute seule, à l’insu de tout le monde, et je te cuirai dans la poêle des mets délicieux. J’ai de la farine, de la fine fleur de farine, cachée dans ma petite chambre ; nous mangerons tous deux de beaux gâteaux de noces bien blancs.