Page:Hoffmann - Le Pot d’or.djvu/29

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— Oui, oui, c’est Véronique ! s’écria-t-il tout haut en rencontrant les yeux bleus de la jeune fille qui brillaient d’amour et de désirs.

Un soupir étouffé s’échappe des lèvres de la jeune fille, qui vinrent en un moment s’attacher brûlantes aux lèvres d’Anselme.

— Oh ! que je suis heureux ! soupira l’étudiant, ce que j’avais rêvé hier devient aujourd’hui presque une réalité.

— Et tu m’épouseras lorsque tu seras devenu conseiller aulique ? demanda la jeune fille.

— Certainement, reprit Anselme.

Au même moment la porte fit du bruit et le recteur Paulmann entra dans la chambre.

— Eh bien, mon cher Anselme, dit-il, je ne vous laisserai pas aller aujourd’hui ; vous vous contenterez de ma soupe, et ensuite Véronique nous préparera un café délicieux que nous dégusterons avec le greffier Heerbrand, qui m’a promis aujourd’hui sa visite.

— Ah ! mon cher monsieur le recteur, répondit Anselme, ne savez-vous pas qu’il faut que je me rende à midi chez l’archiviste Lindhorst pour mes copies ?

— Regardez, amice ! dit le recteur Paulmann en lui présentant sa montre, qui disait midi et demi.

L’étudiant Anselme comprit qu’il était trop tard, ét céda d’autant plus volontiers aux désirs du recteur qu’il pourrait voir Véronique toute la journée et récolter à la dérobée quelque coup d’œil, quelque tendre serrement de main et peut-être aussi un baiser. Les désirs d’Anselme allaient déjà jusque-là, et il devenait de plus en plus gai en se persuadant à chaque instant davantage qu’il allait être bientôt délivré de toutes ces billevesées, qui auraient fini par le rendre tout à fait fou. Le greffier Heerbrand vint en effet, et lorsqu’ils eurent pris le café et que déjà le crépuscule fut venu, il se frotta les mains, joyeux et souriant, et dit avec des manières pleines de mystère :

— Je porte sur moi un objet qui, mêlé et arrangé convenablement par les charmantes mains de Véronique, nous réjouirait tous dans une froide soirée d’octobre.

— Montrez-nous cet objet étrange, très-honoré greffier ! s’écria le recteur Paulmann.

Et le greffier fouilla dans la poche de son habit et amena à trois reprises une bouteille d’arack, des citrons et du sucre. À peine une demi-heure était-elle passée que déjà un punch délicieux fumait sur la table de Paulmann.

Véronique versa la boisson, et une conversation pleine de gaieté s’établit entre les amis. Mais à mesure que l’esprit du breuvage montait à la tête d’Anselme, toutes les images des choses étonnantes qu’il avait vues depuis peu lui revenaient en idée. Il vit l’archiviste Lindhorst dans sa robe de chambre bleu d’azur, le palmier d’or : il lui sembla qu’il devait pourtant croire à Serpentine. Son âme était inquiète et bouleversée. Véronique lui tendit un verre de punch, et en le prenant il lui toucha légèrement la main.

— Serpentine ! Véronique ! se dit-il en soupirant.

Il tomba dans une rêverie profonde ; mais le greffier Heerbrand s’écria d’une voix très-haute :

— L’archiviste Lindhorst n’en est pas moins un bien singulier vieillard que personne ne peut connaître ! Buvons à sa santé ! Trinquons, monsieur Anselme !

Alors Anselme sortit de ses rêves, et dit en choquant du sien le verre du greffier :

— Cela vient, mon honorable monsieur Heerbrand, de ce que l’archiviste est positivement un salamandre, qui dans un moment de colère dévasta le jardin du prince des esprits Phosphorus.

— Comment ! qu’est-ce ? demanda le recteur Paulmann.

— Oui, continua l’étudiant Anselme, et c’est pour cela qu’il doit être seulement archiviste royal et vivre ici, à Dresde, avec ses filles, qui ne sont autre chose que de petites couleuvres couleur vert d’or, qui se plaisent au soleil, dans les sureaux, chantent d’une manière entraînante et séduisent les jeunes gens, comme le font les sirènes.

— Monsieur Anselme ! monsieur Anselme ! s’écria le recteur, perdez-vous la tête ? Quel singulier bavardage nous faites-vous là ?

— Il a raison, reprit le greffier Heerbrand, ce drôle d’archiviste est un salamandre maudit, qui, lorsqu’il claque ses doigts, en fait jaillir des étincelles qui vous font un trou dans une redingote comme si c’était de l’amadou. Oui ! oui ! tu as raison, ami Anselme, et celui qui refuse de le croire est mon ennemi.

Et en disant cela le greffier donna sur la table un coup de poing qui fit retentir les verres.

— Greffier ! êtes-vous enragé ? s’écria le recteur mécontent. Monsieur Studiosus ! monsieur Studiosus ! que nous préparez-vous encore ?

— Ah ! dit l’étudiant, vous n’êtes plus autre chose qu’un oiseau schuhu, qui frise les toupets, monsieur le recteur.

— Quoi ! je suis un oiseau ! un schuhu ! un friseur ! s’écria le recteur plein de colère ; vous êtes fou, monsieur, vous êtes fou.

— Mais la vieille lui tombe sur le dos, s’écria le greffier Heerbrand.

— Oui, la vieille est puissante, interrompit l’étudiant Anselme, quoique d’une origine inférieure, car son papa est tout simplement