Page:Holbach - Système de la nature, 1770, tome 1.djvu/153

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tre organe intérieur, notre ame accoutumée de bonne heure à être modifiée d’une certaine maniere, à attacher de certaines idées aux objets, à se faire un systême lié d’opinions vraies ou fausses, éprouve un sentiment douloureux, lorsqu’on entreprend de donner une nouvelle impulsion ou direction à ses mouvemens habituels. Il est presque aussi difficile de nous faire changer d’opinions que de langage[1].

Voilà, sans doute, la cause de l’attachement presqu’invincible que tant de gens nous montrent pour des usages, des préjugés, des institutions dont vainement la raison, l’expérience, le bon sens leur prouvent l’inutilité, ou même les dangers. L’habitude résiste aux démonstrations les plus claires ; elles ne peuvent rien contre les passions & les vices enracinés, contre les systêmes les plus ridicules, contre les coutumes les plus bizarres, sur-tout quand on y attache l’idée de l’utilité, de l’intérêt commun, du bien de la société. Telle est la source de l’opiniâtreté que les hommes montrent communément pour leurs religions, pour leurs usages anciens & leurs coutumes déraisonnables, pour leurs loix si peu justes, pour leurs abus dont ils souffrent très-souvent, pour leurs préjugés dont quelquefois on reconnoît l’absurdité sans vouloir s’en défaire. Voilà pourquoi les nations regardent comme dangereuses les nouveautés les plus utiles, & se croiroient perdues si l’on remédioit à des maux qu’elles s’habituent à

  1. Hobbes dit qu’il est de la nature de tout être corporel qui a souvent été mû de la même maniere, de recevoir continuellement une plus grande aptitude ou plus de facilité à produire les mêmes mouvemens. C’est-là ce qui constitue l’habitude tant dans le moral que dans le physique. V. Hobbes, Essai Sur La Nature Humaine.