CHAPITRE XII
Examen de l’opinion qui prétend que le systême du fatalisme est dangereux.
Pour des êtres que leur essence oblige de tendre constamment à se conserver & à se rendre heureux, l’expérience est indispensable ; ils ne peuvent sans elle découvrir la vérité, qui n’est, comme on a dit, que la connoissance des rapports constans qui subsistent entre l’homme & les objets qui agissent sur lui ; d’après nos expériences nous appellons utiles ceux qui nous procurent un bien-être permanent, & nous nommons agréables ceux qui nous procurent un plaisir plus ou moins durable. La vérité elle-même ne fait l’objet de nos desirs que par ce que nous la croyons utile ; nous la craignons dès que nous présumons qu’elle peut nous nuire. Mais la vérité peut-elle réellement nuire ? Est-il bien possible qu’il pût résulter du mal pour l’homme d’une connoissance exacte des rapports ou des choses que pour son bonheur il est intéressé de connoître ? Non, sans doute ; c’est sur son utilité que la vérité fonde sa valeur & ses droits ; elle peut être quelquefois désagréable à quelques individus & contraire à leurs intérêts, mais elle sera toujours utile à toute l’espèce humaine, dont les intérêts ne sont jamais les mêmes que ceux des hommes qui, dupes de leurs propres passions, se croient intéressés à plonger les autres dans l’erreur. L’utilité est donc la pierre de touche des systêmes, des opinions & des