Page:Holbach - Système de la nature, 1770, tome 1.djvu/310

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immortalité à laquelle le génie, les talens, les vertus sont en droit de prétendre ; ne blâmons, n’étouffons point une passion noble fondée sur notre nature, & dont la société recueille les fruits les plus avantageux.

L’idée d’être après sa mort enseveli dans un oubli total, de n’avoir rien de commun avec les êtres de notre espèce, de perdre toute possibilité d’influer encore sur eux, est une pensée douloureuse pour tout homme ; elle est sur-tout très affligeante pour ceux qui ont une imagination embrasée. Le desir de l’immortalité ou de vivre dans la mémoire des hommes fut toujours la passion des grandes ames ; elle fût le mobile des actions de tous ceux qui ont joué un grand rôle sur la terre. Les héros soit vertueux soit criminels, les philosophes ainsi que les conquérans, les hommes de génie & les hommes à talens, ces personnages sublimes qui ont fait honneur à leur espèce, ainsi que ces illustres scélérats. Qui l’ont avilie & ravagée, ont vu la postérité dans toutes leurs entreprises, & se sont flattés de l’espoir d’agir sur les ames des hommes lorsqu’eux-mêmes n’existeroient plus. Si l’homme du commun ne porte pas si loin ses vues, il est au moins sensible à l’idée de se voir renaître dans ses enfans, qu’il sçait destinés à lui survivre, à transmettre son nom, à conserver sa mémoire, à le représenter dans la société ; c’est pour eux qu’il rebâtit sa cabane, c’est pour eux qu’il plante un arbre qu’il ne verra jamais dans sa force, c’est pour qu’ils soient heureux qu’il travaille. Le chagrin qui trouble ces grands, souvent si inutiles au monde, lorsqu’ils ont perdu l’espoir de continuer leur race, ne vient que de la crainte d’être entiérement oubliés. Ils sentent que l’hom-