manentes ou paſſagères : il faut que l’action de l’objet qui nous remue ou dont l’idée nous reſte, loin de s’affoiblir ou de s’anéantir, aille toujours en augmentant : il faut que, ſans fatiguer, épuiſer ou déranger nos organes, cet objet donne à notre machine le dégré d’activité dont elle a continuellement beſoin. Quel eſt l’objet qui réuniſſe toutes ces qualités ? Quel est l’homme dont les organes ſont ſuſceptibles d’une agitation continuelle ſans s’affaiſer, ſans ſe fatiguer, ſans éprouver un ſentiment pénible ? L’homme veut toujours être averti de ſon exiſtence le plus vivement qu’il eſt poſſible tant qu’il peut l’être ſans douleur. Que dis-je ? Il conſent très ſouvent à ſouffrir plutôt que de ne point ſentir. Il s’accoutume à mille choſes qui dans l’origine ont dû l’affecter d’une façon déſagréable, & qui finiſſent ſouvent par ſe changer en des beſoins, ou par ne plus l’affecter du tout [1]. Où trouver en effet dans la nature des objets capables de nous fournir en tout tems une doſe d’activité proportionnée à l’état de notre organiſation, que ſa mobilité rend ſujette à des variations perpétuelles ? Les plaiſirs les plus vifs ſont toujours les moins durables, vû que ce ſont ceux qui nous cauſent les plus grands épuiſemens.
- ↑ Nous en avons des exemples dans le Tabac, le Caffé, & ſurtout l’Eau-de-vie, à l’aide de laquelle les Européens ont aſſervi les Negres et maîtriſé les Sauvages. Voilà peut-être encore pourquoi nous courons aux Tragédies, & le peuple aux exécutions des criminels, qui ſont des Tragédies pour lui. En un mot, le déſir de ſentir ou d’être fortement remué, paroît être le principe de la curioſité & de cette avidité avec laquelle nous ſaiſiſſons le merveilleux, le ſurnaturel, l’incompréhenſible, & tout ce qui fait beaucoup travailler notre imagination. Les hommes tiennent à leur religion comme les ſauvages à l’eau-de-vie.