Page:Holbach - Système de la nature, 1770, tome 1.djvu/368

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passer, c’est que nous trouvons encore du plaisir à exister. Les nations réduites au désespoir sont-elles complétement malheureuses ? Elles ont recours aux armes, & au risque de périr elles font leurs efforts pour terminer leurs souffrances.

De ce que tant d’hommes tiennent à la vie, nous devons donc en conclure qu’ils ne sont pas si malheureux qu’on le pense. Ainsi ne nous exagérons plus les maux de l’espèce humaine ; imposons silence à l’humeur noire qui nous persuade que ses maux sont sans remède ; diminuons peu-à-peu le nombre de nos erreurs, & nos calamités diminueront dans la même proportion. De ce que le cœur de l’homme ne cesse de former des desirs, n’en concluons point qu’il est malheureux ; de ce que son corps a besoin chaque jour de nourriture, concluons qu’il est sain & qu’il remplit ses fonctions ; de ce que son cœur désire, il faut en conclure qu’il a besoin à chaque instant d’être remué, que les passions sont essentielles au bonheur d’un être qui sent, qui pense, qui reçoit des idées & qui nécessairement doit aimer & désirer ce qui lui procure ou lui promet une façon d’exister analogue à son énergie naturelle. Tant que nous vivons, tant que le ressort de notre ame subsiste dans sa force, cette ame désire ; tant qu’elle désire, elle éprouve l’activité qui lui est nécessaire ; tant qu’elle agit, elle vit. La vie peut être comparée à un fleuve, dont les eaux se poussent, se succèdent & coulent sans interruption : forcées de rouler sur un lit inégal, elles rencontrent par intervalles des obstacles qui empêchent leur stagnation ; elles ne cessent de jaillir, de bondir & de couler, jusqu’à ce qu’elles soient rendues dans l’océan de la nature.