fecté, ou qui, en troublant l’ordre de sa machine, auroit interrompu le cours de son bonheur.
Indépendamment des besoins qui se renouvellent à chaque instant dans l’homme & que souvent il se trouve dans l’impossibilité de satisfaire, tout homme a senti une foule de maux ; il souffrit de la part de l’inclémence des saisons, des disettes, des contagions, des accidens, des maladies, etc. Voilà pourquoi tout homme est craintif & défiant. L’expérience de la douleur nous alarme sur toutes les causes inconnues, c’est-à-dire dont nous n’avons point encore éprouvé les effets ; cette expérience fait que subitement, ou, si l’on veut, par instinct, nous nous mettons en garde contre tous les objets dont nous ignorons les suites pour nous-mêmes. Nos inquiétudes & nos craintes augmentent en raison de la grandeur du désordre que ces objets produisent en nous, de leur rareté, c’est-à-dire, de notre inexpérience sur leur compte, de notre sensibilité naturelle, de la chaleur de notre imagination. Plus l’homme est ignorant ou dépourvu d’expérience, plus il est susceptible d’effroi : la solitude, l’obscurité des forêts, le silence & les ténèbres de la nuit, le sifflement des vents, les bruits soudains & confus, sont pour tout homme, qui n’est point accoutumé à ces choses, des objets de terreurs ; l’homme ignorant est un enfant que tout étonne & fait trembler. Ses alarmes disparoissent ou se calment à mesure que l’expérience l’a plus ou moins familiarisé avec les effets de la nature ; il se rassure dès qu’il connoit, ou croit connoître, les causes qu’il voit agir, & dès qu’il sçait les moyens d’éviter leurs effets. Mais s’il ne peut parvenir à démêler les causes qui le troublent ou qui le font