Page:Holbach - Système de la nature, 1770, tome 2.djvu/140

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Notre ſçavant adversaire ne leve point la difficulté en demandant s’il n’exiſte que cinq ſens, & ſi Dieu n’a pas pu donner des ſens tout différens des nôtres à d’autres êtres que nous ne connoiſſons pas ? S’il n’en auroit pas pu donner d’autres à nous mêmes dans l’état préſent où nous nous trouvons ? Je réponds d’abord, qu’avant de préſumer ce que Dieu peut faire ou ne pas faire, il faudroit avoir conſtaté ſon exiſtence. Je réplique ensuite que nous n’avons dans le fait que cinq ſens ; [1] que par leur ſecours l’homme eſt dans l’impoſſibilité de concevoir un être tel qu’on ſuppoſe le Dieu de la Théologie ; que nous ignorons absolument qu’elle ſeroit l’étendue de notre conception, ſi nous avions des ſens de plus. Ainſi demander ce que Dieu auroit pu faire en tel cas, c’eſt toujours ſuppoſer la choſe en question, vu que nous ne pouvons ſçavoir juſqu’où pourroit aller le pouvoir d’un être dont nous n’avons aucune idée. Nous n’en avons pas plus de ce que peuvent ſentir & connoître des Anges, des êtres différens de nous, des intelligences ſupérieures à nous. Nous ignorons la façon de végéter des plantes ; comment ſaurions-nous la façon de concevoir des êtres d’un ordre totalement diſtingué de nous ? au moins pouvons-nous être aſſûrés que ſi Dieu eſt infini, comme on l’aſſûre, ni les Anges, ni aucunes intelligences ſubordonnées ne peuvent le concevoir. Si l’homme eſt une énigme pour lui-même, comment pourroit-il comprendre ce qui n’eſt point lui ? Il faut donc que

  1. Les Théologiens parlent ſouvent d’un ſens intime, d’un inſtinct naturel, à l’aide deſquels nous découvrons ou nous ſentons la Divinité & les vérités prétendues de la religion. Mais pour peu qu’on veuille examiner les choſes, on trouvera que ce ſens intime & cet inſtinct ne ſont que des effets de l’habitude, de l’enthouſiasme, de l’inquiétude, du préjugé qui, ſouvent en dépit de tout raiſonnement, nous ramenent à des préjugés que notre eſprit tranquille ne peut s’empêcher de rejetter.