sonner. C’est alors que, glacé par la terreur, il médite tristement sur ses peines, & cherche en tremblant les moyens de les écarter, en désarmant le courroux de la chimere qui le poursuit. Ce fut donc toujours dans l’attelier de la tristesse que l’homme malheureux a façonné le phantôme dont il a fait son dieu.
Nous ne jugeons jamais des objets que nous ignorons que d’après ceux que nous sommes à portée de connoître. L’homme, d’après lui-même, prête une volonté de l’intelligence, du dessein, des projets, des passions, en un mot des qualités analogues aux siennes, à toute cause inconnue qu’il sent agir sur lui. Dès qu’une cause visible ou supposée l’affecte d’une façon agréable ou favorable à son être, il la juge bonne & bien intentionnée pour lui : il juge au contraire que toute cause qui lui fait éprouver des sensations fâcheuses est mauvaise par sa nature & dans l’intention de lui nuire. Il attribue des vues, un plan, un systême de conduite à tout ce qui paroit produire de soi-même des effets liés, agir avec ordre & suite, opérer constamment les mêmes sensations sur lui. D’après ces idées, que l’homme emprunte toujours de lui-même & de sa propre façon d’agir, il aime ou il craint les objets qui l’ont affecté ; il s’en approche avec confiance ou avec crainte, il les cherche, ou il les fuit quand il croit pouvoir se soustraire à leur puissance. Bientôt il leur parle, il les invoque, il les prie de lui accorder leur assistance, ou de cesser de l’affliger ; il tâche de les gagner par des soumissions, par des bassesses, par des présens, auxquels il se trouve lui-même sensible ; enfin il exerce l’hospitalité à leur égard, il leur donne un azyle, il leur