Page:Holbach - Système de la nature, 1770, tome 2.djvu/256

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tous les cœurs ; on se persuada follement qu’une digue idéale & métaphysique, que des fables effrayantes, que des phantômes éloignés, suffisoient pour contenir les desirs naturels & les penchans impétueux ; on crut que des puissances invisibles seroient plus fortes que toutes les puissances visibles, qui invitent évidemment les mortels à commettre le mal. On crut avoir tout gagné en occupant les esprits de ténébreuses chimeres, de terreurs vagues, d’une divinité vengeresse ; & la politique se persuada follement qu’il étoit de son intérêt de soumettre les peuples aveuglément aux ministres de la divinité.

Que résulta-t-il de là ? Les nations n’eurent qu’une morale sacerdotale & théologique, accommodée aux vues & aux intérêts variables des prêtres, qui substituèrent des opinions, des rêveries à des vérités, des pratiques à des vertus, un pieux aveuglement à la raison, le fanatisme à la sociabilité. Par une suite nécessaire de la confiance que les peuples accordèrent aux ministres de la divinité, il s’établit dans chaque état deux autorités distinguées, continuellement en guerre ; le prêtre combattit le souverain avec l’arme redoutable de l’opinion, elle fut communément assez forte pour ébranler les trônes[1]. Le souverain ne fut tranquille que, lorsqu’humblement dévoué à ses prêtres & docile à leurs leçons il se

  1. Il est bon d’observer que les prêtres, qui crient sans ’cesse aux peuples d’être soumis aux souverains, parce que leur autorité vient du ciel, parce qu’ils sont les images de la divinité, changent bientôt de langage, dès que le souverain ne leur est point aveuglément soumis. Le clergé ne soutient le despotisme que pour diriger ses coups contre ses ennemis, et le renverse dès qu’il le trouve contraire à ses intérêts. Les ministres des puissances invisibles ne prêchent l’obéissance aux puissances visibles, que lorsque celles-ci leur sont humblement dévouées.