Page:Holbach - Système de la nature, 1770, tome 2.djvu/54

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près l’ordre que l’on crut voir régner dans le monde, d’après les effets merveilleux qu’il y opéroit : mais d’un autre côté comment s’empêcher de lui attribuer de la malice, de l’imprudence, du caprice à la vue des désordres fréquens & des maux sans nombre dont le genre-humain est si souvent la victime & dont ce monde est le théâtre ? Comment éviter de le taxer d’imprudence en le voyant continuellement occupé à détruire ses propres ouvrages ? Comment ne pas soupçonner en lui de l’impuissance en voyant l’inexécution perpétuelle des projets qu’on lui supposoit.

On crut trancher ces difficultés en lui créant des ennemis, qui, quoique subordonnés au dieu suprême, ne laissoient pas de troubler son empire & de frustrer ses vues : on en avoit fait un roi, on lui donna des adversaires, qui malgré leur impuissance voulurent lui disputer sa couronne. Telle est l’origine de la fable des titans ou des anges rebelles que leur orgueil fit plonger dans un abîme de misères, & qui furent changés en démons ou génies malfaisans ; ceux-ci n’eurent d’autres fonctions que de rendre inutiles les projets du tout-puissant, de séduire & de soulever contre lui les hommes ses sujets[1].

En conséquence de cette fable si ridicule le monarque de la nature fut perpétuellement aux

  1. La fable des Titans ou des Agens rebelles est trèsancienne et très-répandue dans le monde : elle sert de fondement à la théologie des Bramines de l’indostan, ainsi qu’à celles des prêtres Européens. Selon les Bramines, tous les corps vivans sont animés par des anges déchus, qui sous ces formes expient leur rébellion. Cette fable, ainsi que celle des Démons, fait jouer un rôle bien ridicule à la divinité ; en effet elle suppose qu’elle se fait des adversaires pour s’exercer, se tenir en haleine, et pour faire éclater son pouvoir. Cependant ce pouvoir n’éclate aucunement, vû que, suivant les notions théologiques, le Diable a bien plus d’adhérens que la Divinité.