Page:Holbach - Système de la nature, 1770, tome 2.djvu/74

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sans cesse que Dieu ne nous doit rien ; que les biens qu’il nous accorde sont des effets gratuits de sa bonté, & que, sans blesser son équité, il peut disposer à son gré des ouvrages de ses mains, & même les plonger, s’il lui plaisoit, dans l’abîme de la misère. Mais en cela je ne vois pas l’ombre de la justice ; je n’y vois que la plus affreuse des tyrannies ; j’y trouve l’abus le plus révoltant de la puissance. En effet ne voyons-nous pas l’innocence souffrir, la vertu dans les larmes, le crime triomphant & récompensé sous l’empire de ce dieu dont on vante la justice[1] ? Ces maux sont passagers, dites-vous, ils n’auront qu’un tems. à la bonne heure, mais votre dieu est donc injuste au moins pour quelque tems ? C’est, direz-vous, pour leur bien qu’il châtie ses amis. Mais, s’il est bon, comment peut-il consentir à les laisser souffrir, même pour un tems ? S’il sçait tout, qu’a-t-il besoin d’éprouver ses favoris dont il n’a rien à craindre ? S’il est vraiment tout puissant, ne pourroit-il pas leur épargner ces infortunes passagères & leur procurer tout d’un coup une félicité durable ? Si sa puissance est inébranlable qu’a-t-il besoin de s’inquiéter des vains complots que l’on voudroit faire contre lui ?

Quel est l’homme rempli de bonté & d’hum-

  1. Dies deficiet, si velim numerare quibus bonis tnalè tyenerit ; nec minus si commémorent cjuibus malis optimè. Cicer. De Nat. Deor. Lib. 3. Si un Roi vertueux possédait l’anneau de Gygès, c’est-à-dire, avait la faculté de se rendre invisible, ne s’en servirait-il pas pour remédier aux. abus, pour récompenser les bons, pour prévenir les complots des méchans, en un mot pour faire régner l’ordre et le bonheur dans ses États ? Dieu est un monarque invisible et tout puissant, cependant ses États sont le théâtre du crime et du désordre, il ne remédie à rien.