Page:Homère - Iliade, trad. Leconte de Lisle.djvu/460

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plus grand nombre. Un seul défendait ma ville et mes peuples, Hektôr, que tu viens de tuer tandis qu’il combattait pour sa patrie. Et c’est pour lui que je viens aux nefs des Akhaiens ; et je t’apporte, afin de le racheter, des présents infinis. Respecte les dieux, Akhilleus, et, te souvenant de ton père, aie pitié de moi qui suis plus malheureux que lui, car j’ai pu, ce qu’aucun homme n’a encore fait sur la terre, approcher de ma bouche les mains de celui qui a tué mes enfants !

Il parla ainsi, et il remplit Akhilleus du regret de son père. Et le Pèlèiade, prenant le vieillard par la main, le repoussa doucement. Et ils se souvenaient tous deux ; et Priamos, prosterné aux pieds d’Akhilleus, pleurait de toutes ses larmes le tueur d’hommes Hektôr ; et Akhilleus pleurait son père et Patroklos, et leurs gémissements retentissaient sous la tente.

Puis, le divin Akhilleus, s’étant rassasié de larmes, sentit sa douleur s’apaiser dans sa poitrine, et il se leva de son siége ; et plein de pitié pour cette tête et cette barbe blanche, il releva le vieillard de sa main et lui dit ces paroles ailées :

— Ah ! malheureux ! Certes, tu as subi des peines sans nombre dans ton cœur. Comment as-tu osé venir seul vers les nefs des Akhaiens et soutenir la vue de l’homme qui t’a tué tant de braves enfants ? Ton cœur est de fer. Mais prends ce siége, et, bien qu’affligés, laissons nos douleurs s’apaiser, car le deuil ne nous rend rien. Les dieux ont destiné les misérables mortels à vivre pleins de tristesse, et, seuls, ils n’ont point de soucis. Deux tonneaux sont au seuil de Zeus, et l’un contient les maux, et l’autre les biens. Et le foudroyant Zeus, mêlant ce qu’il donne, envoie tantôt le mal et tantôt le bien. Et celui qui n’a reçu que des dons malheureux est en proie à l’outrage, et la mauvaise faim le ronge sur la terre féconde, et il va çà et là, non honoré des