Page:Homère - Odyssée, traduction Séguier, Didot, 1896.djvu/197

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Si je dois m’engloutir dans les ondes fatales,
Ou, patient, survivre à ce revers affreux.
Je me résigne et reste, et, voilant mon visage,
Sur le pont je m’étends ; l’ouragan nous poussait
Aux bords Éoliens ; ma troupe gémissait.

On atterrit, on prend l’eau potable d’usage ;
Près des nefs mes amis font ensuite un repas.
De boire et de manger lorsque chacun se lasse,
M’adjoignant un héraut, un autre homme efficace,
Vers l’enclos d’Éolus je reporte mes pas.
À table il festoyait la reine et sa famille.
Parvenus au salon, nous nous seyons au seuil.
Chaque dîneur s’étonne et nous fait cet accueil :
« Ulysse, d’où viens-tu ? quel noir démon te guille ?
Nous t’avions équipé pour rejoindre aisément
Ton pays, ta maison, n’importe quelle plage. »
Tels étaient les propos ; je réponds tristement :
« Le malheureux sommeil, un funeste entourage
M’ont perdu ; sauvez-moi, vous, chers, qui pouvez tout. »
Je voulais doucement fléchir ces gastronomes.
Ils demeurent muets, mais leur père, debout :
« Sors de l’île à l’instant, ô le pire des hommes !
Je ne saurais choyer ni reconduire ailleurs
Un être que l’Olympe ouvertement déteste.
Va-t’en, puisque sur toi pèse l’ire céleste. »

À ces mots, il me chasse en dépit de mes pleurs.
Alors nous repartons, accablés de souffrance ;
La rame, par leur faute, est lourde aux matelots,
Et d’un retour prochain s’efface l’espérance.