Page:Homère - Odyssée, traduction Séguier, Didot, 1896.djvu/245

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« Divine, encore un mot, mais clair et sans ambage.
Comment puis-je esquiver l’atroce Charybdis
Et débeller Scylla sur les miens venant fondre ? »

L’exquise déité s’empresse de répondre :
« Malheureux, quoi ! toujours des luttes, de hardis
Coups de main ! tu prendras les dieux mêmes pour cible !
Scylla ne peut mourir, le monstre est immortel.
Féroce, impétueux, sanguinaire, invincible.
Contre lui, nul recours ; fuis, il n’est rien de tel.
Si, pour te harnacher, sous son roc tu t’arrêtes,
Je crains que, sur tes bancs derechef envahis,
L’hydre n’enlève autant d’hommes qu’elle a de têtes.
Nage à toute vitesse, implore Crataïs,
La mère de Scylla, cette plaie homicide ;
Elle t’eximera de massacres nouveaux.
Tu mouilleras enfin à l’île Thrinacride,
Où paissent du Soleil les superbes troupeaux :
Sept de grands bœufs, et sept de brebis lanigères,
Tous de cinquante fronts. Ils ne s’accroissent pas
Ni ne meurent ; ils ont des Nymphes pour bergères,
Phaétuse et Lampète, aux célestes appas,
Que Néère conçut du Soleil Hypérie.
L’auguste mère, après les soins originels,
Envoya ces deux sœurs au loin, dans Thrinacrie,
Garder la brebiaille et les bœufs paternels.
Si tu n’y touches point et qu’au retour tu tiennes,
Vous rejoindrez Ithaque, au bout d’un long pâtir.
Mais si ta main leur nuit, tu verras s’engloutir
Ta nef, tes compagnons ; pour toi, que tu reviennes,
Ce sera tard et mal, et sans aucun des tiens. »