Page:Homère - Odyssée, traduction Séguier, Didot, 1896.djvu/249

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Aux différents contours de ses quartiers maudits.

Nous croisons le détroit, l’âme bien désolée :
D’une part est Scylla ; de l’autre Charybdis
Avec un bruit terrible engouffre l’eau salée.
Lorsqu’elle la vomit, la mer, en se gonflant,
Gronde comme un cuvier sur les flammes ardentes,
Et des deux rocs l’écume atteint le pic tremblant.
Mais quand elle engloutit les vagues corrodantes,
Tout son être bouillonne ; autour de la paroi
Résonnent d’affreux chocs ; entr’ouverte, la terre
Montre un sable azuré. Mes preux sont blancs d’effroi.
Nous regardions Charybde, anxieux de notre erre,
Quand Scylle tout à coup ravit du bâtiment
Six hommes, les meilleurs au moral, au physique.
Me tournant vers mon bord et ma troupe nautique,
Je les vois agiter en l’air éperdûment
Leurs jambes et leurs bras ; par mon nom, tout en larmes,
Ils m’appellent, hélas ! pour la dernière fois.
Comme un pêcheur, muni de ses flexibles armes,
Tend, d’un roc, aux poissons un aliment sournois,
En plongeant dedans l’onde une corne bovine ;
Bientôt il en prend un, l’amène palpitant :
Tels mes six vont heurter la pierre en sanglotant,
Et l’hydre les dévore au seuil de sa ravine,
Tandis qu’en leur détresse ils me tendent les mains.
Je n’assistai jamais à de plus noir spectacle,
Depuis que je parcours les humides chemins.

Sauvés de Charybdis, comme de la débâcle
De Scylla, nous rasons l’île heureuse du Dieu.
Là vivent les taureaux, à l’encolure altière,