Page:Homère - Odyssée, traduction Séguier, Didot, 1896.djvu/385

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Le monarque, affectant un calme essentiel :
« Femme, aucun des humains dont la terre fourmille
N’oserait te blâmer ; ta gloire monte au ciel,
Comme celle d’un roi pieux, irréprochable,
Qui, régnant sur un peuple immense et valeureux,
Brille par l’équité. Sous lui, le sol arable
Prodigue orge et froment, l’arbre a des fruits nombreux.
Ses troupeaux sont féconds, sa plage poissonneuse ;
Son sceptre ne régit que sujets florissants.
Donc aujourd’hui sur tout fais-toi questionneuse,
Mais ne cherche ma race et mes aboutissants,
Pour que ce souvenir n’éveille davantage
Mon chagrin ; car mes jours sont bien enfunestés.
Que me sert de pleurer, de gémir en sauvage
Chez autrui ? l’on ne gagne aux soupirs répétés.
Peut-être, me tançant, quelque serve, ou toi-même,
Vous diriez que le vin a provoqué mes pleurs. »

Pénélope reprend, dans sa prudence extrême :
« Bon pérégrin, les Dieux ont flétri mes couleurs,
M’ont pris grâce et beauté, depuis que vers Pergame
Marchèrent les Grégeois, mon Ulysse avec eux.
S’il était revenu pour protéger sa femme,
Mon lustre et mes appas en rayonneraient mieux.
Mais je souffre ; un démon contre moi se déchaîne.
Car les chefs occupant les îles d’alentour,
Dulichium, Samé, Zacynthe la boschaine,
Et ceux qui dans Ithaque ont établi leur cour,
Me briguent malgré moi, pillent ma résidence.
C’est pourquoi je ne soigne hôtes ni suppliants,
Pas plus que les hérauts, ministres d’importance.
J’ai, dans mes longs regrets, les esprits défaillants.