À craindre d'allumer un si faible courroux ?
Bravez des ennemis que vous pouvez abattre. [435]
Quand on est sûr de vaincre, a-t-on peur de combattre ?
La victoire a toujours couronné vos combats ;
Et j'ai moi-même appris à vaincre sur vos pas.
Pourquoi ne pas saisir des palmes toutes prêtes ?
Embrassez un prétexte à de vastes conquêtes ; [440]
Soumettez la Castille ; et que tous vos voisins
Subissent l'ascendant de vos nobles destins.
Heureux, si je pouvais dans l'ardeur de vous plaire,
Sceller de tout mon sang la gloire de mon père !
Vos fureurs ne sont pas une règle pour moi : [445]
Vous parlez en soldat, je dois agir en roi .
Quel est donc l'héritier que je laisse à l'empire !
Un jeune audacieux dont le coeur ne respire
Que les sanglants combats, les injustes projets ;
Prêt à compter pour rien le sang de ses sujets. [450]
Je plains le Portugal des maux que lui prépare
De ce coeur effréné l'ambition barbare.
Est-ce pour conquérir que le ciel fit les rois ?
N'aurait-il donc rangé les peuples sous nos lois
Qu'afin qu'à notre gré la folle tyrrannie, [455]
Osât impunément se jouer de leur vie ?
Ah ! Jugez mieux du trône ; et connaissez, mon fils,
À quel titre sacré nous y sommes assis :
Du sang de nos sujets, sages dépositaires,
Nous ne sommes pas tant leurs maîtres que leurs pères ; [460]
Au péril de nos jours il faut les rendre heureux ;
Ne conclure ni paix, ni guerre que pour eux ;
Ne connaître d'honneur que dans leur avantage :
Et quand dans ses excès nôtre aveugle courage
Pour une gloire injuste expose leurs destins, [465]
Nous nous montrons leurs rois moins que leurs assassins.