Page:Houdar de La Motte - Œuvres complètes, 1754, tome 9.djvu/353

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Dit-il, tu peux me soulager ;
Je meurs de faim ; n’as-tu rien à manger ?

Oüi, seigneur, dans cette chaudiere,
Voilà mon soupé cuit, répondit le manant :
J’ai bon cœur, mon pouvoir n’est pas à l’avenant
Pardon de si petite chere.
Va, ton bon cœur, et cela me suffit.
Le berger là-dessus va chercher quelque assiéte ;
Son chien qui sent le soupé cuit,
Affâmé d’une longue diéte,
Vient flairer la chaudiere, ose y porter les doigts
S’échaude et soudain les retire ;
S’essaie encor, revient à plusieurs fois,
Assiéger le soupé du sire ;
Et s’échaudant toûjours, ne sçauroit s’en dédire :
Manege assez plaisant, qui pourroit le décrire.
Le pastre à son retour, voit le dessein du chien,
Court à lui, mais nôtre vaurien
S’embarassant au cou l’anse de la chaudiere,
Le voilà qui s’enfuit sans regarder derriere,
Le calife de rire, eh, dequoi donc seigneur,
Pouvez-vous rire au milieu de vos peines ?
Qui ne riroit, dit le prince au pasteur
Du retour des choses humaines ?
Cent esclaves hier avoient peine à porter
Mon soupé, ma table ordinaire,
Mon souper d’aujourd’hui ne lui ressemble guère,
Un chien seul vient de l’emporter.