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Page:Huard - Labrador et Anticosti, 1897.djvu/277

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MINGAN — POINTE-AUX-ESQUIMAUX

mains, il se le jette sur l’épaule en manière de besace, et nous arrive enfin. Les longues pattes du lièvre sortaient indiscrètement de la camisole et trahissaient l’aventure.

« J’en étais rendu à la Préface ; le chantre prenant le temps nécessaire pour s’essouffler, mais allant toujours de l’avant, en était, lui, à la moitié du Dies irae. Voyant que ce sera long, je lui fais signe d’arrêter. Il comprend au contraire que je l’encourage et qu’il faut chanter plus fort ! Fier de se montrer un napé (homme), il pousse des cris qui font tout trembler. C’était vraiment un tuba mirum spargens sonum. Que faire ? J’ai eu ou occasionné bien des impatiences en ma vie : faisons ici un doux purgatoire par le ministère d’André Minapish ! Enfin, j’eus mon tour, mais seulement après qu’il eut tout chanté, même le Tapertamen en Jesos Kristos (offertoire, Domine Jesu Christe) jusqu’au dernier mot et à la dernière note.

« Au cimetière, pendant qu’on descend le corps de sa femme en terre, Minapish chante à tue-tête. La cérémonie finie, tout le monde semble satisfait, Minapish plus que les autres, car il avait tout chanté jusqu’à Tsimaïts (amen). Et quoiqu’il râlât beaucoup vers la fin, toujours ça y était !

« Pluie affreuse toute la journée. Le lendemain, je reviens avec le bateau plein de « sauvagerie » : les vieilles femmes aux pipes bien culottées, la petite tête de caribou, la peau du lièvre, le veuf tout consolé. Tous y étaient jasettant et riant.

« On se demande si quelque raison particulière explique la conduite des parents et du mari de cette pauvre Indienne, ou si c’est là leur naturel. Dans le cas présent, cette femme était des plus estimables par sa douceur et son industrie. Mais elle était malade depuis un an et demi ; il avait fallu la traîner de camp en camp pendant tout un hiver. On devait être heureux — et elle aussi — de voir la fin de ses souffrances. Puis, les sauvages sont d’impressions variables, un peu comme les enfants. Toutefois, il y a deux choses auxquelles ils tiennent absolument : mourir avec le secours de la Robe-Noire, et être inhumés en terre sainte. Il est rare qu’ils laissent les cadavres