Page:Huard - Labrador et Anticosti, 1897.djvu/388

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
370
LABRADOR ET ANTICOSTI

Depuis plusieurs années, en effet, la pêche était fort mauvaise, et beaucoup de gens se voyaient réduits à un état de gêne qu’ils n’avaient jamais éprouvé auparavant. Sans doute, en règle générale, on ne thésaurise pas sur la Côte Nord, et l’on n’y songe pas à détourner de leur destination les « bas de laine », pour en faire des coffres-forts remplis d’or et d’argent. D’abord il est rare que loups marins, morues ou harengs se prennent en assez grande quantité ou se vendent à des prix assez extraordinaires, pour que l’on se voie en possession de sommes considérables. Et puis, si la saison de pêche a été vraiment bonne, eh bien, ou dépensera un peu plus. L’embarras n’est pas grand, quand il s’agit de savoir comment on s’y prendra pour employer les quelques douzaines de piastres qui dépassent les revenus ordinaires. La barque et les agrès de pêche ont besoin d’être réparés, sinon remplacés ! La maison elle-même pourra subir avantageusement quelque amélioration ! L’ameublement n’est pas tel que certaines additions n’y seront pas fort utiles ! Et, après tout, on se donnera un peu plus de confort ; il a fallu assez de fois se gêner et se priver ! Donc, on vit un peu plus à son aise, si le gain a été meilleur, et tout est dit. L’année suivante, il y aura encore du poisson dans la mer ; si, par hasard, il y en avait moins, on se privera davantage. C’est ce qu’on appelle vivre au jour le jour.

Or, depuis quatre années, la chasse au loup marin et la pêche à la morue étaient à peu près nulles, et l’hiver de 1885-86 fut terrible à passer. Plusieurs familles furent des mois sans avoir de pain à manger : une faible ration de hareng constituait le menu de chaque jour. Des gens parcoururent à pied jusqu’à quarante lieues pour essayer de se procurer des provisions ! Et, chose qui ne s’était jamais vue sur la Côte Nord, il y eut cet hiver-là des vols à Natashquan et à Goynish.

Au printemps de 1886, l’espérance revint à ces malheureux : peut-être la chasse au loup marin serait-elle bonne, l’ère des privations allait peut-être finir ! On put se procurer du biscuit