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l’attelle à la charrue ; le simulacre de labourage qu’on lui fait effectuer à travers le champ correspond à la dispersion de la victime chez les Khonds. Mais il faut remarquer que l’existence individuelle du bœuf, de son esprit, survit à la consommation de ses chairs, et à la diffusion de sa sainteté. Cet esprit, qui est celui-là même qu’on a retiré de la moisson coupée, se retrouve là, dans la peau recousue et remplie de paille. Ce trait n’est pas particulier aux Bouphonia. Dans une des fêtes mexicaines, pour représenter la renaissance du génie agraire, on dépouillait la victime morte et l’on revêtait de sa peau celle qui devait lui succéder l’année suivante[1]. En Lusace, à la fête du printemps où l’on enterre « le mort », c’est-à-dire le vieux dieu de la végétation, on enlève la chemise du mannequin qui le représente et on la porte immédiatement sur l’arbre de mai[2] ; avec le vêtement, on emporte l’esprit. C’est donc la victime elle-même qui renaît. Or cette victime, c’est l’âme même de la végétation qui, concentrée d’abord dans les prémices, a été transportée dans la bête, et que l’immolation a, de plus, épurée et rajeunie. C’est donc le principe même de la germination et de la fertilité, c’est la vie des champs qui renaît et ressuscite ainsi[3].

Ce qui frappe surtout dans ces sacrifices, c’est la continuité ininterrompue de cette vie dont ils assurent la durée et la transmission. Une fois que l’esprit est dégagé par le meurtre sacrificiel, il reste fixé là où le rite le dirige. Dans les Bouphonia, il réside dans le mannequin du bœuf empaillé. Lorsque la résurrection n’était pas figurée par une cérémonie spéciale, la conservation d’une partie de la victime ou de l’oblation attestait la persistance et la présence de l’âme qui résidait en elle. À Rome, on ne conservait pas seulement la tête du cheval d’octobre, mais encore l’on

  1. Frazer, Gold. B., II, p. 220.
  2. Ib., I, p. 266.
  3. Ib., I, p. 257 sqq.