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gardait son sang jusqu’aux Palilies[1]. Les cendres du sacrifice des Forcidiciæ étaient également conservées jusqu’à cette date[2]. À Athènes, on enfermait les restes des porcs sacrifiés aux Thesmophories[3]. Ces reliques servaient de corps à l’esprit dégagé par le sacrifice. Elles permettaient de le saisir, de l’utiliser, mais d’abord de le conserver. Le retour périodique du sacrifice, aux époques où la terre se dépouillait, assurait la continuité de la vie naturelle, en permettant de localiser et de fixer le caractère sacré qu’il y avait intérêt à conserver et qui, l’année d’après, reparaissait dans les nouveaux produits du sol pour s’incarner de nouveau dans une nouvelle victime.

La suite des sacrifices agraires présente ainsi une série ininterrompue de concentrations et de diffusions. Aussitôt la victime devenue esprit, génie, on la partage, on la disperse pour semer la vie avec elle. Pour que cette vie ne se perde pas (et l’on risque toujours d’en perdre un peu, témoin l’histoire de Pélops à l’épaule d’ivoire), il faut la rassembler périodiquement. Le mythe d’Osiris dont les membres épars étaient rassemblés par Isis est une image de ce rythme et de cette alternance. Pour conclure, ce groupe de sacrifices contenait en lui-même, abstraction faite du retour régulier des travaux agricoles, la condition de sa périodicité ; au reste, elle est stipulée par la légende qui rapporte l’institution qui en fut faite. La Pythie prescrivait la répétition indéfinie des Bouphonia et des autres cérémonies de même nature. L’interruption était inconcevable.

En un mot, de même que le sacrifice personnel assurait la vie de la personne, de même le sacrifice objectif en gené-

  1. Ov., Fastes, IV, 73 sqq. — Properce, V, 1, 19. — Mannhardt, W. F. K., I, p. 314 sqq. ; Myth. Forsch., p. 189.
  2. Ov., Fast., IV, 639.
  3. Frazer, Gold. B., II, p. 43. — Schol. Luc. in Rhein. Mus., 1870, p. 548, sqq. (E. Rohde). — Cf. culte d’Isis à Tithorea, voir plus haut p. 58, n. 5.