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qu’elles laissent mourir les dieux, supposent également un rythme au temps où s’écoulent les durées de toute espèce et les durées divines en particulier. Les divers millénarismes, celui des judéo-chrétiens, celui des zoroastriens, le système des kalpas hindous en sont la preuve. Nos contes de fées, et spécialement ceux où il s’agit d’enlèvements, laissent à penser que les esprits repassent périodiquement aux mêmes endroits ; c’est alors que se dénouent les charmes qui d’abord s’y étaient noués. Les princesses des châteaux engloutis peuvent être désensorcelées à une heure magique, qui sonne d’intervalle en intervalle. En résumé, les éternités mythiques sont à périodes[1].

Ce n’est pas à dire qu’elles aient une mesure, et, moins encore, une commune mesure avec le temps normal. Les comparaisons révèlent une dissemblance profonde. Le calcul du temps présente, tout particulièrement dans les contes, d’incroyables incohérences. Un conteur macédonien assure, sans sourciller, qu’un héros, qui a mis trois ans pour descendre aux antipodes, douze ans pour en remonter, sans y avoir fait un séjour d’une longueur appréciable, est resté trente ans hors de son pays[2]. La contradiction ne le choque pas, car c’est un conte de fées, αὐτὸ ’ναι παραμύθι.

C’est à l’aide de semblables contradictions que se concilie l’antinomie du temps divisible et du sacré indivis qui s’égrène dans le temps. Mais, pourrait-on penser, ces synthèses se font peut-être en trichant simplement avec la rigueur quantitative de la notion commune de temps. Nous ne le croyons pas, mais nous supposons au contraire qu’elles dénotent l’existence d’une autre notion, dont les caractères, constants et définissables, sont à peu près ceux que nous allons décrire.

  1. Limitation périodique du séjour chez les esprits : Mannhardt, Germanische Mythen, p. 172, 177 ; Sébillot, Le Folklore de France, t. I, p. 305, 463, etc.
  2. G. F. Abbott, Macedonian Folklore, p. 271.