Page:Hubert - La Torture aux Pays-Bas autrichiens pendant le XVIIIe siècle.djvu/138

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çais, mettre au service de ses idées l’éloquence chaleureuse qui émeut l’opinion publique, mais il perd de vue que les ouvrages de ces encyclopédistes au style séduisant étaient fort répandus dans nos provinces[1] et que leur propagande rencontra sur certains points des Pays-Bas un terrain très favorable. Les intéressants mémoires de MM. Henri Francotte et Jacques Küntziger[2], couronnés par l’Académie, ont établi que les nouvelles doctrines comptèrent, à Liége notamment, de nombreux prosélytes, recrutés surtout dans les rangs d’une jeunesse lettrée, pleine d’illusions généreuses et avide de changement.

Or, nous l’avons vu, la torture demeura inscrite dans les coutumes liégeoises et elle fut appliquée à maintes reprises, même sous le règne de Velbrück, le prince-évêque « éclairé », ami et protecteur des encyclopédistes. Et d’ailleurs, en France, où l’amour des innovations était d’une intensité si grande, où ne régnait certes pas cette « atmosphère paisible » qu’avait créée pour nos ancêtres le gouvernement de l’Autriche, en France, les Cours opposèrent aux réformes de la procédure la même résistance désespérée que les Conseils dans les Pays-Bas.

Dans les deux pays, de constitution politique si différente, nous constatons ce phénomène étrange : malgré d’éloquents et irréfutables réquisitoires dressés contre la cruauté des peines et spécialement contre la torture, les juges restent les partisans déterminés d’une procédure inique, qui demande ses lumières à la terreur, ils défendent avec une obstination irritée un système de preuves où l’absurdité le dispute à la barbarie.

Nous nous bornons à enregistrer ce fait peu consolant, sans lui découvrir de cause appréciable, si ce n’est l’attachement traditionnel de la magistrature aux usages consacrés par le temps. Peut-être estimera-t-on cette conclusion insuffisante et banale ; nous avouons humblement n’en pas avoir trouvé d’autre. E. H.


  1. On en trouve la preuve dans de nombreux inventaires de mortuaires datant de la seconde moitié du XVIIIe siècle.
  2. H. Francotte, Essai historique sur la propagande des encyclopédistes français dans la principauté de Liége [Mém. cour. de l’Acac. roy. de Belgique, coll. in-8o, t. XXX]. — J. Küntziger, Essai historique sur la propagande des encyclopédistes français en Belgique au XVIIIe siècle [Ibid.].