Page:Hubert - La Torture aux Pays-Bas autrichiens pendant le XVIIIe siècle.djvu/31

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II. Torture des convaincus qui persistent à nier. — Pendant des siècles, la plupart des magistrats de l’Europe ont jugé qu’il n’était point permis de condamner un homme à mort avant qu’il n’eût avoué son crime. L’aveu du criminel était à leur avis indispensable, quelle que fût d’ailleurs l’évidence de la culpabilité. Toutes les formalités de l’instruction, toute l’habileté du magistrat semblent avoir l’obtention de cet aveu pour unique objectif. Si la résistance du prisonnier n’a pas été lassée par les sollicitations de l’interrogateur, ou entamée par ses menaces, la torture sera mise en œuvre. Scrupule étrange ! On n’osera condamner l’accusé sans avoir obtenu son aveu, mais on n’hésitera pas à l’envoyer à la mort après un aveu mensonger. Charles-Quint avait déjà réagi contre ce système par l’article 69 de la Caroline[1] dont l’esprit se retrouve dans l’article 61 de l’édit du 5 juillet 1570[2]. Mais ici encore il fallait compter avec la force d’inertie des tribunaux et avec l’hostilité qu’ils nourrissaient contre les ordonnances. Nos magistrats s’en tiennent au texte de Damhoudere : « Si les premiers indices fussent si clers et évidents, et si bien approuvez par deux tesmoings suffisants de veue et bien sçavoir, que le juge sentiroit signamment l’obstination du patient : car en ce cas, pour la malice du patient, le juge le pourroit regehenner

  1. « Que si le délinquant est convaincu du crime commis, par des preuves suffisantes, et que nonobstant cela il refuse de se reconnaître coupable, on doit lui remontrer qu’il est convaincu d’en être l’auteur, quoique pour cela on ne puisse tenir de lui sa confession ; si après cette remontrance il persistoit encore à ne point vouloir avouer, quoiqu’il en fût suffisamment convaincu, on doit néanmoins sans l’appliquer à aucune question, le juger suivant le mérite du crime » [Traduction de la Caroline, publiée à Montbéliard en 1612]. — Nous devons observer que la Caroline n’avait pas force de loi dans les Pays-Bas.
  2. « Entre autres notables abus, d’autres observent que personne ne peut être condamné à mort, à moins qu’il n’avoue le crime, fût-il trouvé en flagrant délit, ou convaincu par plusieurs témoins au-dessus de toute exception… voulant y pourvoir, nous ordonnons que pareils abus dans quelqu’endroit qu’on les observe, viennent à cesser ; déclarons, de notre Puissance roïale, autorité souveraine et pouvoir suprême, toutes ces coutumes, privilèges et statuts nuls, de nulle valeur et abusifs ; défendant à qui que ce soit d’en faire usage ou de les alléguer, à peine que ceux qui les allégueront ou en voudront faire usage, comme aussi les officiers qui dissimuleront à cet égard, ainsi que les juges qui s’y conformeront, seront punis et corrigés. Voulons que dans tout ce que dessus l’on suive le droit commun, civil et écrit, à moins que quelqu’une de nos ordonnances n’en disposât particulièrement, qui en ce cas devra être observé ».