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Page:Hubert - La Torture aux Pays-Bas autrichiens pendant le XVIIIe siècle.djvu/65

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CHAPITRE II.

Le mouvement de l’opinion contre la torture depuis le XVIe siècle jusqu’au XVIIIe.


Après avoir étudié le système d’investigation pénale encore en usage dans nos provinces et dans les pays voisins durant la plus grande partie du siècle dernier, nous allons examiner maintenant la naissance et les progrès dans l’esprit public d’idées favorables à un système de procédure plus équitable et plus humain. Sans avoir la prétention d’épuiser la matière, et sans faire une étude approfondie des écrits qui ont dénoncé les abus de la procédure criminelle, nous croyons utile de rechercher les origines et de marquer les étapes du mouvement qui aboutit, il y a un siècle, à faire rayer la torture du code des nations civilisées.

Dès le XVIe siècle, le signal est donné par Montaigne. Il réédite les plaintes que saint Augustin avait fait entendre douze cents ans plus tôt, et, suivi par son ami Charron[1], il dénonce avec une énergie indignée « la dangereuse invention des géhennes », ce moyen plein d’incertitude d’où résulte « que celui que le juge a géhenne, pour ne le faire mourir innocent, » il le fasse mourir innocent et géhenne » ; et il signale que plusieurs nations[2] « estiment horrible et cruel de tourmenter et de rompre un homme » de la faute duquel vous êtes encore en doute »[3]. En montrant les périls de la torture, le célèbre sceptique espère faire naître une hésitation dans l’esprit du magistrat et le rendre ainsi plus circonspect et plus humain.

Son contemporain, l’humaniste espagnol Louis Vives, qui s’est formé dans les Pays-Bas, reproche aux juges d’avoir des âmes de bourreaux et de soumettre les inculpés à des tourments plus horribles que la mort même[4].

Malheureusement ces lettrés n’exercent sur le monde qu’une action peu

  1. Traité de la sagesse, liv. 1, chap. XXXVII.
  2. Allusion à l’Angleterre probablement.
  3. Essais, liv. II, chap. V.
  4. Commentaires sur la Cité de Dieu de saint Augustin, t. XIX, p.6.