Page:Hubert - La Torture aux Pays-Bas autrichiens pendant le XVIIIe siècle.djvu/66

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sensible, limitée à quelques intelligences d’élite. Au XVIe siècle, l’opinion ne demande pas de réformes dans le droit criminel, et ne soupçonne même pas que la procédure puisse être mauvaise. Et cependant la force des choses arrache à des légistes quelques aveux timides, sans grande portée, sans effet réel dans le monde judiciaire, précieux à enregistrer toutefois, parce qu’ils marquent le début d’un mouvement qui grandira lentement à travers les siècles pour devenir, un jour, irrésistible.

Le jurisconsulte brugeois Josse de Damhoudere[1] qui appartient cependant à l’école de l’intimidation, et qui supprime sans scrupule toutes les garanties judiciaires dès que la question d’État se pose[2], Damhoudere est forcé d’avouer que la torture est loin d’être un moyen infaillible de découvrir la vérité. Des inculpés se sont chargés de crimes qu’ils n’ont pas commis : « Aucune fois a esté trouvé que les patiens, par désespoir et peine, ont plus cher à mourir qu’endurer les peines et tourmens, et avoir cogneu ce qu’ils ne firent oncques[3] ». D’autre part, il nous apprend que des bandits s’exercent entre eux à vaincre les tourments pour triompher des efforts du bourreau le jour où ils finiront par être mis sur la sellette, et qu’ils acquièrent ainsi une force de résistance extraordinaire[4]. Mais ces aveux n’amènent nullement notre criminaliste à répudier les horreurs de la question, et la recommandation sur laquelle il insiste le plus est que les juges doivent visiter et regarder « bien soigneusement si le patient n’a pas

  1. Voir sur Damhoudere, Wielant et la Praxis criminalis, les intéressants articles d’Ad. Du Bois, dans le Messager des sciences historiques, 1889, pp. 301, 380, et 1891, p. 237.
  2. « Simpliciter de plano et sine strepitu et figura judicii, quum negotium celeritatem desiderat, adeò ut mora ac dilatione maius dispendium, periculum et inconveniens Reipublicæ imminere posset, veluti tempore commotionis aut seditionis : quo quidem tempore quatuor aut quinque ex præcipuis seditiosis subita decollatione tolluntur e medio, ac postea disputatur æquo ne jure sublati sint. Nam in hujusmodi notoriis nequaquam opus est juris ordinem servare. Si veró judici perspectum fuerit occasione temporis, ex huiusmodi subita punitione plus mali quam boni Reipublicæ posse oriri, eo tempore iudex dissimulanter et conniventer justitia protrahet, atque eo tempore talis dissimulatio veræ bonæque iustitie nomen merebitur » [Prax. crim., III, p. 5, éd. d’Anvers de 1570, p. 6]
  3. Pract. crim., XXXIX, 3, éd. de Paris de 1555.
  4. Ibid., XXXVIII, 17, éd. de Paris de 1555, p. 52.