Page:Hubert - La Torture aux Pays-Bas autrichiens pendant le XVIIIe siècle.djvu/90

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Joseph II. L’empereur-corégent fit nommer Sonnenfels membre du conseil de régence de la Basse-Autriche, ainsi que de la commission des études, et il lui envoya officiellement ses félicitations, quand parurent les deux premières parties de son manuel des sciences politiques et financières[1].

Ainsi soutenu, Sonnenfels continua de plus belle sa campagne contre la procédure et la législation pénales, même après la publication de la Constitutio criminalis. Mais l’impératrice trouva d’une suprême incorrection qu’on attaquât les actes de l’autorité souveraine dans une chaire ouverte par le Gouvernement ; elle se décida à sévir, et prescrivit à Sonnenfels de s’abstenir dorénavant de traiter dans ses leçons de la torture et de la peine de mort. Le professeur, censuré, se défendit par une lettre éloquente, et affirma qu’il avait concédé l’usage de la torture pour quelques cas déterminés ; il était du reste d’avis, disait-il, que c’était un procédé généralement inefficace, et dès lors illicite. Il rappelait les erreurs judiciaires dont la question avait été cause, les nombreux innocents à qui la seule vue de l’appareil des bourreaux avait arraché des aveux mensongers et coûté la vie, les cruautés horribles dont elle était journellement l’occasion ; il adjurait l’impératrice de n’écouter que son cœur et d’effacer des lois de l’Empire cette institution néfaste. Il demandait qu’une nouvelle commission d’enquête fût formée ; les partisans de la torture pourraient y soutenir leur système contre lui. S’il était battu, il se rétracterait à la face du monde savant ; mais s’il sortait vainqueur du débat, personne ne douterait de la décision que prendrait la souveraine dans sa haute sagesse[2].

Marie-Thérèse, déjà ébranlée par les instances de son fils, se rappelant les accidents fréquemment[3] survenus au cours des instructions judiciaires, conçut des scrupules et renvoya le mémoire justificatif de Sonnenfels à l’avis du comte de Blumegen, chancelier supérieur. Celui-ci estima que, s’il

  1. Grundsätze der Polizei, Handlung und Finanzwissenschaft. Vienne, 1765, 3 vol. in-8o.
  2. Arneth, Gesch. Maria-Theresia’s, t. IX, pp. 209-210.
  3. De malheureux patients avaient eu un bras arraché, une jambe broyée ; d’autres avaient été réduits à une incapacité absolue de travail, et le Gouvernement leur avait accordé une pension alimentaire. Un décret de 1756 avait rendu les juges responsables en cas de pareils abus, mais la situation ne s’était guère améliorée. Voir Wahlberg, Zur Gueschichte der Aufhebung der Tortur in OEsterreich, dans Ges. kl. Schrift., t. II, p. 269.