Aller au contenu

Page:Hubert - La Torture aux Pays-Bas autrichiens pendant le XVIIIe siècle.djvu/93

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

substituer à la torture. On pourrait résumer tout ce chapitre en une ligne : le juge doit procéder à son enquête avec beaucoup d’habileté[1].

Dans les régences provinciales, la plupart des conseillers s’étaient prononcés pour le maintien du statu quo. Le projet vint ensuite au Conseil d’État : ici la majorité fut favorable à l’abolition. Deux conseillers, Stupan et Hatzfeldt, proposèrent alors une mesure transactionnelle : la torture ne serait plus appliquée que pour les crimes de haute trahison, vols de grand chemin et falsification des monnaies. L’impératrice se rallia à l’avis de la minorité, et le décret, rédigé dans ce sens, fut soumis, le 12 août 1775, à l’empereur-corégent. Joseph II écrivit en marge : « Dans ma conviction, la suppression de la torture est non seulement une chose inoffensive et juste, mais nécessaire. Je suis donc partisan, sans crainte, de l’effacer de la Nemesis Theresiana[2] ».

En présence de ces avis contradictoires, Marie-Thérèse était assaillie de mille doutes. Son cœur lui conseillait l’abolition de la torture, mais, d’autre part, elle craignait que cette mesure d’humanité n’entraînât des conséquences funestes pour l’ordre public. Ne sachant à quel parti s’arrêter, elle remit la décision à son fils par la lettre suivante : « Je prie l’Empereur, qui a étudié le droit, et me confiant à sa justice et à sa philanthropie, de décider cette affaire sans mes conseils, parce que je ne la comprends pas et que je ne puis me décider d’après ces avis divergents[3] ».

Joseph II recourut aux lumières d’une commission mixte ; mais celle-ci se divisa en deux fractions égales : magistrats conservateurs et conseillers d’État partisans des innovations. L’impératrice s’en remit alors de nouveau au chancelier Blumegen ; celui-ci, appuyé par l’empereur, fit pencher la balance et, en conséquence, un billet autographe de Marie-Thérèse, daté du 2 janvier 1776, abolit la torture dans les États héréditaires allemands ainsi que dans le Banal de Temesvar et la Gallicie. Cette réforme considérable, dont on fit tant d’honneur à l’impératrice, lui avait coûté beaucoup,

  1. Brissot met en note : « En lisant ce chapitre, il faut convenir qu’on pourroit appliquer aux jurisconsultes ce que J.-J. Rousseau disoit des philosophes : habiles à détruire, ils ne le sont pas à bâtir ».
  2. Arneth, Gesch. Mar. Ther., t. IX, p. 212.
  3. Ibid., p. 213.