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Page:Hubert - Les Îles de la Madeleine et les Madelinots, 1926.djvu/146

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a dû y encourager de quelque façon les pêcheurs américains, car il fut un temps où les Îles en étaient tellement infestées qu’on les aurait prises pour une colonie de la grande république. Pendant trois quarts de siècle, plus de 250[1] goélettes américaines et françaises vinrent sans aucune gêne, avec une insolence révoltante, faire la pêche dans la Baie de Plaisance, sur les bancs et jusque dans les havre des Îles. Bien fournis d’agrès de pêche, ils faisaient une concurrence effrénée aux pauvres insulaires. Avec leurs immenses seines, ils prenaient plus de poissons en une seule fois que tous les petits bateaux des îles en une saison. Les Madelinots devaient payer un droit d’entrée écrasant ; et ils avaient bien de la misère à se procurer leurs cordages, filets, sel, barils, etc., car les marchands de la localité étaient si maigrement approvisionnés[2] qu’ils se seraient vus dans l’impossibilité de gagner leur pain, si les goélettes américaines ne les avaient assistés. Chaque année, ce commerce illicite se poursuivit secrètement et se développa au détriment des marchands et au grand scandale des scrupuleux à l’excès. Ce n’était pourtant qu’un simple échange très avantageux aux deux partis. L’accoutumance fit disparaître la crainte et, malgré les efforts et les appels du douanier, Madelinots et Américains faisaient de la contrebande publique. Les marchands se lamentaient, maudissaient les Yankees et fustigeaient leurs compatriotes. Ces abus étaient pourtant provoqués par leurs

  1. 500 à 600 voiles américaines dit J. B. Painchaud en 1852, 400 goélettes dit Faucher de St-Maurice en 1874.
  2. « J’ai vu moi-même de ces pauvres pêcheurs être obligés, dans la force de la pêche, de perdre quinze jours et plus, pour aller à l’île du Prince-Édouard chercher un câble, d’autre perdre deux jours de pêche, c’-à-d., quinze à seize quintaux de morue, pour venir chercher un mouillage de berge qui ne valait pas cinq chelins, ou une livre de clous pour réparer leurs embarcations. »

    C. N. Boudreault, ptre, oct, 1852.