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Page:Hubert - Les Îles de la Madeleine et les Madelinots, 1926.djvu/215

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LE ROCHER

Le Rocher-aux-Oiseaux est enveloppé d’une atmosphère lugubre qui inspire à tout l’archipel une crainte un peu semblable à celle qu’éprouvent les enfants aux abords des maisons hantées des contes de fées. On s’en approche avec mille précautions, après s’être assuré de la faveur des vents et des courants. Et encore, c’est-il pour peu de temps, car on ne sait jamais ce qui peut arriver dans ces parages de sinistre réputation, l’abordage étant hérissé de difficultés. Les seuls êtres qui n’en ont pas la chair de poule à son approche, qui l’abordent sans façon et y vivent sans crainte, ce sont les myriades de fous de Bassan, de goélands, de cormorans, qui en formèrent l’unique population de temps immémorial. En voyant une telle multitude d’ailes autour de ce rocher, Cartier lui donna le nom de Isle-aux-Margaulx[1] Les premiers navigateurs qui s’aventurèrent sur le sommet du rocher faillirent être mis en pièces à coups de bec. Le sol était si couvert de nids et d’oiseaux qu’on ne savait où placer le pied pour n’en point écraser. On aurait dit qu’ils couvaient en plusieurs rangs d’épaisseur. Même à l’heure actuelle, malgré la présence de l’homme, ces oiseaux n’ont pas peur de couver à ciel ouvert, sur la surface du rocher. Mais la majorité a déménagé pour chercher un refuge dans les interstices et les anfractuosités des falaises, si parsemées d’ailes blanches qu’on les dirait couvertes de neige. Avant l’établissement du phare, les Américains, qui se considèrent partout comme en pays conquis, ne se gênaient pas d’y monter, au temps de la ponte, et de cueillir des œufs en quantité, par barils, qu’ils chargeaient sur leurs goélettes. Les chasseurs, non plus, ne se sont pas fait scrupule de massacrer inutilement, et pour le seul

  1. Les Madelinots disent toujours les Îles-aux-Oiseaux.