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Page:Hubert - Les Îles de la Madeleine et les Madelinots, 1926.djvu/231

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LE « PONCHON »[1]

La navigation se clôture généralement à la fin de décembre pour ne rouvrir qu’au commencement de mai, ce qui fait quatre longs mois sans autre moyen de communication avec la « grand’terre » qu’un câble et un T. sans fil. Cet isolement, bien terrible aux gens du continent, habitués à recevoir régulièrement leur courrier chaque matin, est relativement facile à supporter par les insulaires qui ont toujours vécu ainsi. Cependant, cette situation devient de plus en plus pénible, parce que des enfants, des frères, des sœurs, sont condamnés, à cause d’une surpopulation débordante de vitalité, à s’expatrier et à transporter leurs pénates sous d’autres cieux. Un message apporté de temps à autre par le câble était, il y a dix ans, les seules bribes de nouvelles qui parvenaient aux Madelinots, pour ensoleiller leurs longs mois de casernement. Or il arriva qu’un jour le télégraphiste parla dans le vide : le câble était rompu… C’était le 6 janvier 1910. Jugez de la désolation des insulaires.

Ne serait-il pas possible d’entreprendre la traversée : la mer est libre de glace et la température idéale ; les voitures d’été continuent à circuler sur le chemin du roi. Avec un vent favorable, ce serait vite fait. Oui, mais les havres sont gelés, les bateaux à l’abri, et, somme toute, c’est un gros risque. Les vieux loups de mer s’y refusent ; les jeunes, plus fougueux, parce que sans expérience, veulent essayer…, quand le plus ingénieux de l’endroit — du Havre-Aubert — déclare qu’il a trouvé le moyen facile de sortir de cette impasse. Lancer un bateau seul, sans équipage, toutes voiles dehors et orienté de façon qu’il atterrisse fatalement à bon port. C’est ingénieux, mais le bateau ?… Le

  1. De l’anglais puncheon. Chez les insulaires, c’est la tonne ou grand tonneau ; viennent ensuite par gradation descendante, la barrique, le quart, le baril, le siau, (seau).