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de ce qui a vie, de se nourrir simplement de légumes. Elles pensent qu’après la mort leur âme transmigrera dans un autre corps, et que si elles ont fidèlement observé le vœu des abstinentes, elles auront le bonheur de sortir de la condition de femmes et de renaître hommes. L’espoir d’obtenir un semblable avantage les aide à supporter des mortifications journalières, et les soutient au milieu des peines et des contradictions que les hommes leur font endurer. Elles se promettent sans doute un ample dédommagement après leur métamorphose, et ce ne serait peut-être pas faire un jugement téméraire, en supposant que quelques-unes d’entre elles savourent déjà par avance un petit avant-goût de vengeance dans le cas où elles viendraient à trouver leur mari transformé en femme. À diverses époques de l’année, les associées de la confrérie des abstinentes font des processions à certaines pagodes en renom. On voit ces pauvres femmes, appuyées sur un long bâton et clopinant avec leurs petits pieds de chèvre, exécuter de pénibles pèlerinages, dans l’espérance de prendre après leur mort une bonne revanche sur les hommes[1].

La vieille princesse de la dynastie des Ming accomplissait avec beaucoup d’assiduité et de dévotion les rites les plus assujettissants de la société des abstinentes. Ses fils, étant devenus chrétiens, eurent le bonheur de lui ouvrir les yeux et de lui prouver que ses nombreuses mortifications étaient des pratiques incapables de lui procurer la félicité qu’elle rêvait. Elle rompit donc son long jeûne et se disposa à embrasser

  1. Empire chinois, t. II.