Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 1.djvu/21

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la plus terrible dont on ait entendu parler. Les Chinois disent qu’elle fut partout annoncée par un pressentiment général dont on n’a jamais pu se rendre compte. Pendant l’hiver de 1831, il se répandit une sinistre rumeur. L’année prochaine, disait-on, il n’y aura ni pauvre ni riche ; le sang couvrira les montagnes ; les ossements rempliront les vallées : ou fou, ou kioung ; hue man chan, kou man tchouan. Ces paroles étaient dans toutes les bouches, et les enfants les répétaient dans leurs jeux. On était dominé par ces sinistres appréhensions, quand commença l’année 1832. Le printemps et l’été se passèrent sans pluies ; en automne les gelées arrivèrent, que les moissons étaient encore en herbe ; tout périt, la récolte fut entièrement nulle. La population se trouva bientôt réduite au plus grand dénûment. Maisons, champs, animaux, tout fut échangé contre du grain, qui se vendait alors au poids de l’or. Quand on eut achevé de dévorer l’herbe des montagnes, on fouilla dans la terre pour en extraire jusqu’aux racines. L’effrayant pronostic, qui avait été répété si souvent, eut tout son accomplissement. Plusieurs trouvèrent la mort sur les montagnes, où ils s’étaient traînés pour ramasser quelques brins d’herbe. Les cadavres jonchaient les chemins, les maisons en étaient encombrées, des villages entiers furent éteints jusqu’au dernier habitant. Il n’y avait ni pauvre ni riche ; la famine avait passé sur tout le monde son impitoyable niveau.

C’était dans ce triste pays que nous attendions avec quelque impatience le courrier que nous avions envoyé

    donné au nouveau règne le nom de Hien-Fong. (Prospérité universelle).. Tao-Kouang. signifie splendeur de la raison — 1852.