Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 1.djvu/22

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dans le royaume de Naiman. Le jour que nous avions fixé pour son retour arriva ; beaucoup d’autres s’écoulèrent encore ; mais toujours point de chameaux, point de Lama, et ce qui nous paraissait le plus étonnant, point de courrier non plus. Nous étions poussés à bout ; nous ne pouvions vivre plus longtemps dans cette douloureuse et inutile attente. Nous imaginâmes d’autres moyens, puisque ceux que nous pensions avoir entre les mains s’étaient évanouis. Le jour du départ fut irrévocablement fixé ; il fut en outre réglé, qu’un chrétien nous conduirait avec son charriot jusqu’à Tolon-Noor, éloigné des Gorges-contiguës de près de cinquante lieues. A Tolon-Noor, nous renverrions ce conducteur temporaire, pour nous enfoncer seuls dans le désert, et poursuivre ainsi notre pèlerinage. Ce projet faisait peur aux chrétiens ; ils ne comprenaient pas comment deux Européens pouvaient seuls entreprendre un long voyage dans un pays inconnu et ennemi ; mais nous avions des raisons pour tenir à notre résolution. Nous ne voulions pas de Chinois pour nous accompagner. Il nous paraissait absolument nécessaire de briser enfin les entraves dont on a su envelopper les Missionnaires de Chine. Les soins précautionneux, ou plutôt la pusillanimité d’un Catéchiste ne nous valait rien dans les pays Tartares ; un Chinois eût été pour nous un embarras.

Le dimanche, veille de notre départ, tout était prêt ; nos deux petites malles étaient cadenassées, et les chrétiens étaient déjà venus nous faire leurs adieux. Cependant, à la grande surprise de tout le monde, ce dimanche même, au soleil couchant, le courrier arriva. A peine eut-il paru, que, sur sa figure triste et déconcertée, il nous fut aisé de lire les