Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 1.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

agissions ainsi, non pas par mépris de l’auberge, mais par amour de la vie patriarcale. Quand donc la tente fut tendue, quand nous eûmes déroulé par terre nos peaux de bouc, nous allumâmes un grand feu de broussailles pour nous réchauffer un peu, car les nuits commençaient déjà à être froides. Aussitôt que nous fûmes couchés, l’inspecteur des ténèbres se mit à frapper à coups redoublés sur un tamtam. Le bruit vibrant et sonore de cet instrument d’airain, allait se répercuter dans les vallons, et donner l’épouvante aux tigres et aux loups qui fréquentent ces déserts.

Le jour n’avait pas encore paru, que nous étions sur pied. Avant de nous mettre en route, nous avions à faire une opération de grande importance ; nous devions changer de costume, et en quelque sorte nous métamorphoser. Les Missionnaires qui résident en Chine, portent tous, sans exception, les habits des Chinois ; rien ne les distingue des séculiers, des marchands, rien ne leur donne extérieurement le moindre caractère religieux. Il est fâcheux qu’on soit obligé de s’en tenir à ces habits séculiers ; car ils sont un grand obstacle à la prédication de l’Evangile. Parmi les Tartares, un homme noir[1] qui se mêle de parler de religion, n’excite que le rire ou le mépris. Un homme noir est censé s’occuper des choses du monde ; les affaires religieuses ne le regardent pas ; elles appartiennent exclusivement aux Lamas. Les raisons qui semblent avoir établi et conservé l’usage de l’habit mondain parmi les Missionnaires de Chine n’existant plus pour nous, nous crûmes pouvoir

  1. Les Tartares appellent hara-houmou (homme noir) les séculiers, peut-être à cause des cheveux qu’ils laissent croître. C’est par opposition à la tête blanche des Lamas, qui sont obliges de se raser la tête.