Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 1.djvu/48

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gols, qui me conduisirent dans leur tente. Là, ils me prièrent de leur deviner où s’était sauvé un bœuf qu’ils avaient perdu depuis trois jours. J’avais beau leur protester que je ne savais pas deviner, que je n’avais pas même appris à lire, « Tu nous trompes, me disaient-ils ; tu es un Dchiahour, et nous savons que les Lamas qui viennent de l’occident savent toujours deviner un peu. » Comme je n’avais pas moyen de me tirer de cet embarras, je m’avisai de singer ce que j’avais vu quelquefois pratiquer par des Lamas, en pareille circonstance. Je chargeai quelqu’un d’aller chercher onze crottins de mouton, les plus secs qu’il pourrait rencontrer. Je fus servi à l’instant. Je m’assis alors gravement ; je comptai les crottins, je les divisai par catégories ; je les comptai de nouveau ; je les fis rouler sur ma robe ; enfin je dis aux Mongols, qui attendaient avec impatience le résultat de l’horoscope : Si vous voulez trouver votre bœuf, allez le chercher du côté du nord. Aussitôt que j’eus prononcé ces paroles, quatre chevaux furent sellés, quatre hommes montèrent dessus, et s’en allèrent au grand galop à travers le désert, se dirigeant toujours vers le nord. Par le plus grand des hasards, le bœuf fut retrouvé ; on me fêta pendant huit jours, et je ne partis qu’avec une bonne provision de beurre et de feuilles de thé. Maintenant que j’appartiens à la sainte Église, je sais que ces choses sont mauvaises et défendues. Sans cela, j’aurais bien dit un mot d’horoscope à ces deux cavaliers, et cela nous aurait peut-être valu de boire ce soir un bon thé au beurre.

Ces chevaux volés ne justifiaient que trop le mauvais renom du pays où nous avions campé. Nous crûmes donc